
Le matin est brumeux, comme le soleil couchant d’hier, et la péninsule noire de Reykjanes se languit de mes découvertes. Je commence par l’immensité du lac de Kleifarvtn, lisse et bleu marine du ciel gris, je me sens si minuscule en haut de la butte volcanique qui devrait ouvrir mon regard sur l’océan si le ciel n’était pas brouillageux. Je fais le tour et les détours du lac où les rochers s’érigent en tête de Sioux, où les grottes se creusent petit à petit mais de plus en plus grandes, où les monts m’encerclent en dents de scie. Je m’attarde à la marmite boueuse fumante et grondante, qui pourrait me défigurer d’un éclat de boue et je contemple les rides dont sa fournaise craquelle la terre.
J’arpente les fureurs des volcans dont la lave n’a laissé que des landes creusées et désolées, dérangées dans leur désordre noir par quelques graines éparpillées au hasard des vents contraires pour y déposer des fleurs que l’on n’appelle pas combattantes mais qui en ont pourtant la nature. Ainsi, trois bourgeons resplendissent enhardies de leurs racines caverneuses. La nature, même au milieu de la terre la plus inhospitalière, trouve toujours son chemin et flamboie.

Les roues du quatre-quatre percent les falaises rouges de Krisuvikurberg en même temps que le soleil. L’odeur est suffocante, l’air est chargé du cri insatiable des mouettes et de leurs traînées blanches venues apposer leurs signatures à l’oeuvre de la nature. Et au milieu du plateau infini, traversent trois moutons à la queue leu leu.
Je me déroule inlassablement sur la langue aussi grise que la terre est noire, alentour des champs de mousse, des champs acérés des volcans que le ciel a lentement parsemés d’un duvet gris blanc ; je me rends au suspend de ma première source brûlante dans la plaine ocrée. Le bouillonnement de la terre et de l’eau couvre les lamentations de Gunna qui déverse tout de même ses larmes sur mon ciré, au passage du nuage de la source mélangé aux vapeurs de l’industrie voisine. Les bleus de mon lac lagon, les ocres de la terre et les vapeurs des eaux universelles s’harmonisent pour peindre en mille couleurs l’air de mon temps islandais.
A un moment de la journée, n’importe quel moment puisque les heures ne savent pas compter au plus près des pôles, je m’arrête auprès du plateau de Valahnúkamöl suspendu au-dessus de la mer . J’imagine les gens qui se tenaient peut-être ici, sur ce même morceau vertigineux, chacun d’un côté des continents au moment de la rupture de Pangée, le cœur et la main tendus l’un vers l’autre comme dans une ultime tentative de préserver le monde qu’ils avaient toujours connus. Mon imagination se laisse nourrir par un petit couple de vieux – il porte ses bretelles de 1940 et son béret assorti à ses baskets dernier cri, elle a mis sa belle robe noire et ses chaussures de marche – qui s’aiment comme au premier jour et l’immortalisent par un selfie qu’ils enverront certainement à leur famille infinie.
Puis je vagabonde furtivement au cœur de l’un des cratères de Stampar qui servait jadis de repères aux pécheurs en mer, et s’élève aujourd’hui érodé par les ans dans le désert noir cousin de la lune. Ma journée s’achève, riche et fatiguée, sur la rupture des mondes à Miðlína dont le pont se fend de promesses d’amour en regardant l’océan.
Cet autre jour sans fin islandais m’a enrichi, il a pris toute ma vivacité car mes nuits se font aussi courtes que le soleil endormi de l’été. Je cours après le sommeil et ma poésie s’oublie dans ma fatigue. Je m’émerveille parfois, je prends cette magnificence vierge pour acquise souvent. Je me laisse pourtant voyager, curieuse, dans ce désert de pierres sans toujours comprendre les histoires géologiques qu’il a à me raconter.

Masse rocheuse
Flatey Island – 6/08/2019
Volume ancestral
Cœur immobile mais bien vivant
Reliefs de mille ans
ou plutôt des millions
Sommet éternel
absolument immortel
Qui a pris les couleurs d’un ciel
d’hiver
pour les éclabousser
multiples et miroitantes
sur chacun de vos flancs ?
Qui a dessiné
chacun de vos rebonds
tous vos sentiments dans le cœur
des pierres ?
Où s’en est allée votre colère
glacière, déflagration universelle
qui paralyse le monde
au galop ?
Vos larmes noires et dures
plus vieilles que nous
plus vielles que le monde
demeurent
figées dans leur course vers la mer
Brisées dans le chant de fleurs
Justine T.Annezo – Keflavik, 4 août 2019 – GTM+0
Ces pages reçues au fil d’un été caniculaire sont autant de douceurs. Comme il est agréable de se laisser aller dans vos mondes fugaces. J’ai le sentiment que mes pensées vous accompagnent alors que ce sont les vôtres qui me transportent. Merci, Nicolas Envoyé de mon iPhone
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