Certains reconnaitront la référence à la série Netflix « A tous les garçons que j’ai aimés » que je n’ai jamais regardée mais qui, si j’ai bien compris, retrace l’histoire d’une jeune fille qui écrit à tous les ex qu’elle a aimés. Pour leur dire quoi, je ne sais pas. Tout ce qu’elle leur reproche ? Les raisons pour lesquelles elles les aiment toujours ? Quoiqu’il en soit, je détourne aujourd’hui son concept pour réfléchir sur la vie et sur l’amour un peu aussi…
CARTE BLANCHE #4

« Cher XY,
On écrit souvent des lettres à ceux qu’on a aimés, qui nous ont aimée en retour, comme une bouteille à la mer lancée en direction d’un passé idéalisé. Mais aujourd’hui, je t’écris à toi qui ne m’a pas aimée. Ou aimée mal. Ou aimée peu.
Sans idéalisation. Mais surtout sans amertume ni rancune.
Charles Pépin, un auteur-philosophe français, a affirmé un jour comme partie de son argument, citant Aristote « un ami est quelqu’un qui vous rend meilleur », que les meilleurs amis ne sont pas forcément les amis les plus tendres mais ceux qui nous font le plus évoluer. Et s’il en était de même pour les amants ? Est-ce que les meilleurs amants sont forcément ceux qui nous aiment le plus ? Car ceux qui nous aiment le plus sont-ils forcément ceux qui nous font le plus évoluer ?
Je dois reconnaître que partir de ce postulat encourage un peu trop l’adage qui m’a tant accompagné : « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », car l’évolution passe ici indirectement par la « douleur », passe ici directement par le manque. Or, j’essaie de déconstruire ce mantra depuis plusieurs mois, depuis que j’en ai eu marre d’accumuler les rencontres comme la nôtre dans ma vie.
Je n’en essaie pas moins ce pas de côté, gardant pudiquement le souvenir de ceux que j’ai aimés et qui m’ont aimée en retour tout en me faisant évoluer. Dans la douceur et l’abondance ceux-là.
Aujourd’hui, je t’écris donc à toi, XY, qui ne m’a pas aimée, ou aimée mal, ou aimée peu, et qui m’a donc quittée, ou parfois même pas rencontrée. Et je nous pose la question suivante : ne m’as-tu pas rendu service finalement ? Car je t’aurais, en retour, aimé mal, ou aimé peu. Je t’aurais aimé dans la peur de te perdre. Je l’ai d’ailleurs fait, un peu. Je t’aurais aimé dans la peur que tu ne m’aimes pas en retour. Je l’ai d’ailleurs fait, beaucoup.
Comment aurais-tu pu m’aimer quand je ne m’aimais pas moi-même. Comment aurais-tu pu m’aimer quand tu ne m’as jamais véritablement connue. Que nous nous soyons rencontrés une heure avant. Ou un an plus tôt. Car je ne savais pas être qui je suis. Car je ne savais pas qui j’étais.
Car j’avais disparu dans notre rencontre. Car j’avais disparu pour être aimée.
Pour ma défense, j’ai tellement pris l’habitude de me contorsionner, alors que je ne suis pourtant pas bien souple, pour être aimée. Pendant longtemps, je ne savais pas faire autrement, je dissimulais toujours ma part de nuit jusqu’à l’implosion. Espérant secrètement que tu me devinerais sous le voile. Mais chacun fait du mieux qu’il peut avec qui il est face au bouleversement de la rencontre. Et tu m’as aimée à moitié, ou mal, ou pas. Et je t’ai aimé au carré, ou mal, ou trop.
Aujourd’hui, je t’écris donc à toi, XY. Non pas un poème d’amour d’excuse comme tous les poèmes d’amour d’excuse que je scrolle sur mon téléphone, qui demandent pardon d’aimer trop, d’aimer mal, d’aimer pas assez. On ne devrait jamais s’excuser d’être les êtres blessés que nous sommes, surtout pas en amour. Nous devrions embrassés, au propre comme au figuré, les êtres blessés que nous sommes, surtout en amour ; et partir à la rencontre de l’autre, conscientes et conscients d’être des gens à problèmes, mais conscientes et conscients que ces problèmes ne sont pas un obstacle, qu’ils font aussi partie de qui nous sommes.
Aujourd’hui, je t’écris donc à toi, XY, et à tous les garçons qui ne m’ont pas aimée. Ou aimée mal. Ou aimée peu. Pour te dire merci. Car aujourd’hui je m’aime bien. Je m’aime ce qu’il faut.
Et c’est un peu « grâce » à toi finalement ; ne m’aimant pas, ou mal, ou peu, tu m’as faite évoluer. Tu m’as donné envie de m’aimer un peu, de m’aimer mieux, de m’aimer plus. Tu m’as obligée à ne plus accepter cet amour nul, cet amour bas, cet amour plat.
« Grâce » à toi et à tous les autres garçons qui ne m’ont pas aimée, ou aimée mal, ou aimée peu, je disparais toujours aussi vite dans la rencontre mais je disparais pour moins longtemps. En ne m’aimant pas, ou peu, ou mal, tu m’as rendu service, tu m’as révélée à moi-même, tu m’as permise de me rencontrer, tu m’as obligée à devenir moi.
Merci. Vraiment.
Je n’irais pas néanmoins jusqu’à faire de toi mon meilleur amant !
Forte de mon évolution, je choisis l’autre thèse sur l’amitié présentée par Charles Pépin, plus douce et soutenue par Giorgio Agamben : « Comme la vie est douce en compagnie d’un ami ». Et je l’applique à l’amour : « Un amant est un être qui vous rend la vie plus douce. »
Librement inspiré de faits réels 😉
La rencontre n’est pas un agrément, une alternative accessoire, elle nous est essentielle, elle modèle notre personnalité ; elle est au cœur de l’aventure de notre existence. […] elle nous révèle à nous-mêmes et nous ouvre au monde. C’est là sa force et son mystère : j’ai besoin de l’autre, de rencontrer l’autre, pour me rencontrer. Il me faut rencontrer ce qui n’est pas moi pour devenir moi.
Charles Pépin
Justine T. Annezo – 19 mai 2024 – GTM+2