Pôle Express

Mon aventure islandaise touche à sa fin alors que le vent du Nord a définitivement apporté un morceau d’hiver avec lui. Mon visage porte les marques de mes errances. Mes pieds aussi. Je n’ai néanmoins pas vraiment de conclusions à tirer de ce voyage. Je me suis laissée porter par le chemin de l’univers. Je me suis laissée souffler par l’été islandais et j’ai profité de chaque instant, j’ai accueilli chaque attente, chaque tension de l’âme. J’ai poussé plus loin ma confiance, mon ouverture, ma croyance aux possibles. J’ai dépassé certaines de mes limites sans me forcer et sans résistance. Je ne sais pas encore précisément quelle étape de ma vie était l’Islande, si elle était encore une transition de la France vers ailleurs, de mon avant vers mon après, puisqu’elle est littéralement et géographiquement entre l’Europe et l’Amérique, puisqu’elle-même est découpée de part en part par la blessure béante du monde. Je ne sais ce qu’était l’Islande pour moi, elle était simplement et j’étais avec elle.
L’île commence à frissonner d’hiver, la tempête d’hier soir à ma fenêtre me l’a tonitruée à l’oreille ; et je m’envole vers un autre hiver. L’Islande m’attendra ici, là où elle s’épanouit depuis des milliers d’années ; elle blanchira, elle sera nuit, elle se métamorphosera avec les saisons et je reviendrai certainement sous un autre ciel et d’autres lumières, parce que le monde est immense et que j’aime le manger morceau par morceau, paisiblement et avec amour, à l’écoute de chacun des minuscules messages que chaque rocher pourrait me révéler sur le monde, sur mon monde.

Et lors de mon attente choisie à l’aéroport, je repense à ma dernière aventure d’auto-stoppeuse… Symbole du destin, note d’espoir ou quelque soit le secret de l’univers, cette rencontre est encore à écrire sur mes ailes d’éphémère. J’ai été récupérée par une belle et joyeuse jeune fille blonde aux mêmes joues rosies qu’une poupée de porcelaine, elle s’est uniquement arrêtée à cause de mon gros sac à dos devinant ma destination sans que je n’ai à la lui formuler. Elle aussi se rendait, dans un élan d’amour, à l’aéroport international de Keflavik car elle voulait retrouver celui qu’elle vient d’aimer. Il est Danois, elle est Islandaise, ils viennent de passer une semaine ensemble et sont tombés amoureux follement et sans prévenir, comme on tombe toujours amoureux. Ils se sont quittés au matin et son nouvel amant voulait laisser place au silence, il voulait prendre le temps de la réflexion avant de véritablement s’engager dans cette folle aventure. Le cœur a été le plus fort pourtant, ils seront donc fous et tenteront de s’aimer malgré la distance. Elle était ainsi en chemin pour le surprendre dans sa dernière nuit islandaise. Une folle histoire qui m’en rappelle une autre, si chère à mon cœur solitaire. Remplie d’espoir et d’ardeur. Et j’ai ressenti, et ressens toujours, à l’écoute de l’irradiance du cœur de ma conductrice, le regret de l’étincelle qui l’illumine, de cette insouciance douloureuse. C’était déjà il y a bien longtemps que notre présent était celui-là…
Dans mon présent, il y a maintenant l’Alaska qui m’attend quelque part, il y a Seattle quarante minutes plus tard sur l’écran des départ… Est-ce que ce Seattle de 17h50 signifie toujours véritablement quelque chose puisque maintenant déserté ? J’en doute… Papillon de nuit ou feux d’artifice, volcan explosif ou flamme éternelle, c’est fini aujourd’hui, c’est un souvenir doux amer. Je m’envole vers mon Amérique ; et non plus la nôtre, qu’il a piétiné sans regret de toute façon. Je m’exile fougueusement avec mon cœur vert solitaire. Maintenant il n’est plus question de prendre à rebours les départs manqués, il est temps de partir neuve et prête à tout commencer quelque soit le prochain début.
C’est donc parti. Ou presque. Deuxième escale de mon périple au Nord de l’hémisphère. Longue étape dans un monde nouveau. Aux dépends du gouvernement américain qui n’aime jamais que l’on s’invite pour trop longtemps sur son territoire. Je ne suis même pas encore dans l’avion que tout mon itinéraire est passé au peigne fin par le garde-frontière d’avant la frontière. Mon retour inconnu inquiète, ma profession en suspension soulève des questions. L’on vérifie minutieusement que je dis bien la vérité.

Lorsque je m’envole enfin au plus près des Pôles, c’est absolument magique de survoler le Grand Nord. Je suis totalement bouleversée par la beauté de la terre et de la mer aux multiples nuances de blancs vues du ciel. Lorsque l’on observe, depuis nos racines mouvantes, les avions danser avec les nuages, l’on n’imagine pas que les hublots peuvent nous voir… et pourtant, quelle histoire doivent-ils se raconter ! Je regarde ainsi passer le désert gris du Groenland, j’écoute le chant des glaciers qui crépitent dans la mer, je dévore les montagnes à la fois tranchantes et tendres, saupoudrées d’une neige qui ressemble à du sucre glace. Je m’hypnotise de cette neige polaire qui renferme les origines de la Terre, presque noire depuis tous ces millénaires.
Puis, je contemple l’Alaska pour la première fois, subjuguée, je survole les chaînes de montagne qui dégringole vers Anchorage en suivant la ligne de Denali, j’aperçois le paysage verdir au fil des rivières immenses et brunes. Mon cœur tambourine de la magie hypnotique du pôle, mon cœur caracole de ce qui attend mon présent en Alaska.

Justine T.Annezo – 11 août 2019, dans les airs – entre GTM+0 et GTM-8


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