Dernier(s) Jour(s): Bye Bye Birdie

Je suis partie en voyage pour trouver une terre ou un regard qui justifient d’être en vie. Le jour où j’ai pénétré dans le désert pour la première fois j’ai compris que les villes n’étaient pas humaines, que pour y survivre il fallait fuir. La puissance brute de cette nature mise à nu imposait le silence. J’étais née pour cet instant… Depuis cette rencontre avec le désert, je reste persuadée que tout grand voyageur a un peu percé le secret du monde. Les horizons ont leurs mots à dire. Je cherche leur message. […] Mes longues marches dans le désert ont guéri des blessures, mais le mot « ailleurs » est devenu une obsession. Chaque retour il me faut de nouveaux rêves pour tenir. Le voyage est devenu esclavage. Alors j’ai compris qu’il devait servir une autre dimension : intérieure. Le véritable vagabond ne serait pas celui qui prend la route, mais celui qui part chercher son âme….

Manifeste Vagabond, Blanche de Richemont

Aujourd’hui je m’en vais. Ou plutôt je m’en viens… C’est vraiment l’heure cette fois : je m’envole, je rentre à la maison même si ma maison n’a plus de murs ni de toit, même si la Terre entière est ma maison. Je peux quand même dire que je rentre chez moi puisque je vais me reconnecter à mes racines.

Et si je devais écrire honnêtement mon état du moment, je dirai que je suis fatiguée, crevée, lessivée, rincée ; j’ai épuisé toutes mes cartouches, les villes de la Côte Est ont mangé toute mon énergie. Ainsi, en ce dernier dimanche de voyage, je dois abandonner mon envie du Met [The Metropolitan Museum of Art] et ma tentative de balade fraîche, pour m’alanguir à la place… Je profite de ma chance, de ma vue panoramique sur New York et Central Park depuis le 20ème étage de « mon » appartement sur Park Avenue en mangeant des macaronis au fromage… Peut-être que c’est aussi simple que ça de finir mon voyage américain en beauté : un bol de Mac&Cheese et un dernier regard sur l’Amérique en me livrant à mon activité favorite, l’écriture.

Sur les toits de New York

Pendant des semaines, pendant des mois, j’ai fait cavalière seule, étape nécessaire pour retrouver qui j’étais, pour mieux connaître mon âme, pour rallumer mon étincelle de vie…Tout ce que je souhaitais a été accompli ; tout ce que je ne savais vouloir s’est révélé ; tout ce qui se dissimulait dans les méandres s’est affirmé. J’ai 30 ans à présent et je suis invincible. Je connais mes forces, j’accepte mes fragilités et j’apprends à vivre avec mes peurs.
J’ai cru, pendant quelques secondes en juillet dernier, que l’Irlande avait déjà repositionné les parties brisées de mon être. J’avais raison et je me trompais car l’Irlande m’a condamné à revivre mon passé, elle m’a obligée à affronter tout ce que je colmatais encore, les fausses réparations, l’air qui passait encore entre les fissures. Je me sentais mieux mais je ne me sentais pas encore bien. La mosaïque n’était pas entièrement complète. L’Amérique a achevé le processus. Maintenant, je suis entière et les pièces détachées ont trouvé leurs propres connexions qui ne sont plus uniquement rabibochées à la colle industrielle ; ma réparation est viscérale, elle est organique. Elle n’est plus fabriquée, elle est ancrée. Aujourd’hui, je me sens positivement bien dans mon âme et si je dois me sentir mieux demain, ce ne sera que du plus. C’est cela que chaque étape – irlandaise, islandaise, alaskienne, canadienne ou américaine – m’a apportée kilomètre après kilomètre : une sérénité inégalée.
Et sur ce chemin solitaire, j’ai parcouru tant de paysages uniques, irréels, qui m’ont transcendée jusqu’aux tréfonds ; je suis passée par tant d’états d’être qui ont façonné une nouvelle moi, j’ai voulu devenir guide de voyage, tenancière d’auberge, propriétaire de ranch, pilote d’avion, jardinière de Versailles, étudiante en Histoire ; j’ai fait tant de rencontres incroyables qui ont toutes coloré mon pèlerinages de leurs nuances particulières, de leurs humeurs authentiques ; j’ai vécu des aventures absolument indescriptibles. Je pourrais citer toutes les belles âmes que j’ai rencontrées mais je préfère qu’elles se reconnaissent, je pourrais lister tous les Etats/Provinces Nord-Américaines traversées mais je n’en donnerai que le nombre – 22, + l’Islande, + l’Irlande -, je pourrais compter les kilomètres ou les miles mais je suis vraiment nulle en calcul alors je dirai que c’était beaucoup. Et il n’y a qu’une seule chose à écrire au bout du compte, il n’y a qu’une seule chose qui compte véritablement : je suis si reconnaissante de tous les rires, de toutes les larmes-de-tristesse-de-joie-et-de-peur, de tous les mots infinis et inutiles, de toutes mes libertés et contraintes, de toutes mes solitudes et surpeuplades ; je suis reconnaissante de chaque souvenir individuel, collectif et précieux dont ma route s’est pavée sous mes rêves…

Et je m’en viens paisible. Et je continue ma route heureuse. Car ceci n’est pas une fin, c’est une continuité ! On ne revient jamais véritablement de ce genre de voyage, il fait partie de nous éternellement comme une étape, comme un tremplin, comme un tournant, comme une chrysalide qui laisse place au papillon….
J’ai bien-sûr un pincement dans le cœur à l’idée de m’envoler, mais pour être tout à fait honnête, l’énergie carnivore de New York facilite mon envie de partir ; mais pour être tout à fait honnête, je ne réalise pas encore… Le souvenir de mon départ en juin est encore si vivide, comme si c’était hier… Et j’ai paradoxalement l’impression que c’était une autre vie, comme si des milliers d’années avaient défilé…. Alors je ne comprends pas véritablement ce qui est en train de se passer, je change juste d’endroits comme j’ai changé d’endroits par avion, bateau, train, bus ou voiture si souvent au cours de mes pérégrinations. Peut-être saurai-je mieux demain, quand je serai de nouveau bien trop en avance ou en retard sur la terre à laquelle je me sens appartenir. Ou quand je verrai maman à l’aéroport. Ou quand je trinquerai avec Juliette. Ou dans un mois. Ou jamais…

On imagine la vie comme une succession de rupture, de départs… En fait, non, on pense que la vie c’est une continuité et on ne conscientise pas toujours les ruptures et les départs qui la composent. Parce que l’on s’imagine que seuls les départs définitifs importent. Et pourtant…
Un jour, j’ai conscientisé que la vie n’était qu’une succession de départs et de ruptures, et ils me brisaient tous l’âme à chaque fois. Chaque séparation était physique car chacun de mes états d’être se raccrochait à l’endroit auquel ils étaient attachés, ils en dépendaient. A présent, mon état d’être ne dépend plus du lieu, il ne s’attache qu’à mon cœur.
Depuis huit mois, chaque départ m’a permis de matérialiser la partie de mon âme que j’avais théorisée dans un espace et moment choisi. Mes vagabondages ont été une succession de départs où je me délestais à chaque fois de certains espoirs déçus, de certains rêves caduques, de ce qui m’empêchait et me retenait dans le passé. C’est pour cela que mon retour fait absolument partie de mon voyage. Il le conclut et le confirme. Il l’affirme, il me permet de faire le tri de tout ce qui m’a traversé, de ce que j’ai espéré, désiré, rêvé ; de ce qui reste réel et ce qui s’envole. Il me permet d’asseoir ma liberté d’être.
Ainsi, le départ devient ma continuité, je l’ai totalement adopté. Même si aujourd’hui, ce n’est pas seulement New York que je quitte, c’est l’Amérique. Et je n’ai même pas traversé le fameux pont de Brooklyn…
Car après tout, je ne rentre pas vraiment, je fais étape à la maison en attendant de faire le tri de mes envies, d’acter les rêves que j’ai glanés le long de mes vagabondages et de tracer mon chemin vers demain.

Alors je m’envole, c’est vraiment l’heure, cette fois-ci. Je fais une halte à l’aéroport de Gatwick, un arrêt symbolique que je reconnais mais qui ne m’écorche pas. Et alors que j’attends mon avion vers ma ville rose, alors que le soleil m’éblouit plus tard dans le hublot, je reconnais l’accent chantant de Toulouse. C’est vraiment terminé à présent, le français a repris le dessus.
Et chargée de mes pas voyageurs, de mes paysages transmutateurs, de chacun et de chacune, j’atterris en France. Je n’ai jamais été aussi heureuse de me présenter devant le Monsieur du contrôle des frontières, car lorsque je lui lance un bonjour éclatant dans ma langue maternelle, je suis véritablement chez moi.

Justine T.Annezo – 16-17 Fev. 2020 – De l’Amérique à la France De NYC à Toulouse De GMT-5 à GMT+1


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