
Au réveil de mon île seule au milieu de l’océan, alors que la nébuleuse matinale encercle l’horizon, je sais que j’ai eu raison de ne pas me lever pour regarder le soleil émerger car la brume est toujours au rendez-vous aux premières heures. Je prends le bateau, non sans m’être acheté ma traditionnelle paire de chaussettes en laine. Le vent du Nord qui glaçait chaque avancée sur la houle hier s’est essoufflé dans le soleil gris d’aujourd’hui.
J’arrive ainsi à Brjanslaekur dans un soleil flamboyant qui a enfin percé. Je fais le choix lent d’un pas après l’autre pour me rendre à mon prochain rendez-vous auprès de la source chaude d’Hellalaug, m’émerveillant de l’eau si bleue, de l’eau si claire, au bord des vagues. Je ne suis pas encore bouleversée par les Fjords, j’admire alentours les Ben Bulben qui ont fait des petits frères à l’Irlande, je regarde tout le vert qui les compose, comprenant que les Islandais, las de leur volcans et de leurs terres noires, se dépaysent ici. J’apprécie ma solitude, impatiente d’une émotion qui me bascule face à ce qui se dessinera au-devant de mes pieds.
J’atteins le bain aux pierres noires avec magnifique vue sur la mer, délassant mon corps éprouvé dans l’eau claire et à la consistance si particulière des milliers de bactéries millénaires qui s’unissent à mes pores. Puis, me rhabillant dans le vent glacé, je fais une nouvelle fois le choix de la marche oubliant que les routes n’ont pas de bas-cotés pour me récupérer si je venais à fatiguer. Je suis donc obligée de reprendre mes pieds fourbus jusqu’au port alors que le soleil décline, brûle mes joues mais ne réchauffe pas suffisamment mes bras. Tout au long de cette marche choisie mais lassée de la durée et du déjà-vu, je repense à mes divagations d’hier au soir, à la fascination que le Nord et l’Ouest provoquent chez moi, la nature sauvage qu’ils comportent dans mon cœur indompté. L’Islande possède une autre magie que celle de l’Irlande, mais le mystère est bien là, hypnotique. L’île des glaces me questionne sur l’humanité toute entière. L’Ouest est un appel vers les terres inexplorées, le Nord est un inconnu jamais palpable, un point à atteindre pour comprendre l’essence de notre monde. Et c’est vers eux que le vent de mon cœur me porte toujours.
Exaltée par mes théories sur ma vie, je rejoins finalement le port du début de mon jour, prête à me faire immédiatement collecter par ma première voiture au volant de trois Allemandes en voyage souvenir de leur année d’exil ici, elles me baladent jusqu’au croisement où nos chemins se sépareront. Mais entre temps, mon monde est bouleversé, comme aux falaises d’Aran, comme à l’entrée de Sligo, comme aux abords de la Columbia River ; je n’attendais rien et tout arrive… Le bleu turquoise de l’océan, les bancs de sable blanc, les descentes vertigineuses des hauteurs rocheuses aux profondeurs océaniques du Fjord, et le vert qui les dessine, qui les poudroie, qui les transmute. Absolu. Incroyable. En dehors du temps. De l’espace. Un vertige grisant. Presque une ivresse. Toujours associée à ce sentiment de nous reconnaître petits dans ce monde si gigantesque. De la meilleure façon qu’il soit pour une fois. Je voudrais que mes mots puisse tracer au pinceau la grandeur du paysage et de mon émotion, mais je ne trouve pas les bonnes nuances, le bon encrier, c’est si surprenant, si irréel, ces deux morceaux de terre qui se toucheraient presque mais pas assez et cachent alors en leur berceau une partie de l’océan translucide. Ca éclate de bleu, de vert, de blanc. De vent.

Puis, nous sommes au croisement de notre séparation, j’attends la plage de Rauðisandur mais mon deuxième carrosse préfère les falaises de Látrabjarg, alors j’opine du chef, c’était de toute façon l’une des étapes de mon parcours et mon voyage est aussi libre que le vent fou, aussi mou que l’air vif. Complètement subjuguée de ma première descente entre deux Fjords, je ne tiens plus en place, mes yeux n’ont pas assez de fenêtres pour s’émouvoir des immenses plages si claires qui se jettent dans les eaux de tous les bleus, n’ont pas assez de pigments pour comprendre le paysage et toutes ses couleurs qui change de matière. Plus on grimpe, plus c’est sec. Rouge du même rouge que la plage qui me demeure secrète. Je retrouve la mousse en son sommet et les champs déserts de rochers. J’ai simplement dépassé la colline suivante et le panorama s’est métamorphosé. Moi qui ai toujours si avide de savoir ce qui se cache derrière la prochaine éminence, me voilà servie !
Je navigue à vue plus longtemps que je ne l’aurais cru, j’ai la sensation de me jeter dans la fin du monde. Pas si loin puisque j’arrive au point le plus à l’Ouest de l’Europe que chaque nez de terre se revendique… Dingle me racontait la même histoire l’hiver dernier*… Les falaises du bout d’un monde sont là et le chemin du papa tchèque et de sa fille gracilement entrelacé au mien reprend son indépendance dans un vent à envoler tous mes regrets. Je remets toutes mes couches de coupe-vent et je m’élance pour aller voir les falaises. Mais on ne les voit pas ; après tout, souvent, les falaises, on les voit quand même beaucoup mieux les pieds dans l’océan. J’avais oublié que les macareux étaient le principal point d’intérêt de Látrabjarg, on m’a dit « falaises » et puis j’ai arrêté d’écouter après…

Je me trouve donc au point le plus à l’Ouest, soufflée par un vent qui me rend absolument folle, sur des falaises invisibles qui se font pardonner par l’impressionnante élévation du plateau vertigineux à pic au-devant de moi, par-dessous le ciel bleu. Et je me sens terriblement seule. Je ne me suis jamais sentie aussi seule de ma vie. Bien-sûr que je me suis déjà sentie si seule et même certainement plus, mais soudain cette solitude brûlante et ce vent tranchant sont les seules choses qui m’importent, sont le seul souvenir de cet instant. Cependant, curieuse coïncidence des pensées, alors que la déflagration de ma solitude m’emporte, un homme au K-way bleu, compagnon de ma traversée en bateau au matin, m’interpelle, me confiant qu’il me trouve courageuse de voyager toute seule. Parfois, les pensées des autres nous entendent…
Après plusieurs tergiversations et mes pieds pleins d’ampoules, je décide de me déposer ici pour la nuit, dans le souvenir d’un ancien village de pêcheurs qui fait face à l’océan dur aux pieds adoucis des falaises et où la houle de la mer est un bruit immortel qu’aucune photo ni aucun de mes mots, ne sauraient reproduire. C’est le son et l’image de la vie qui dégringole inlassable, bouillonnante et jamais pareil. Je marche le long de cet océan aux odeurs trop prégnantes, et soudain, encore une fois, tout le monde me manque.
Je chéris cet endroit qui n’appartient qu’à moi sur ce terrain vague et vide, la mélancolie de ceux qui sont ma maison m’étreint pourtant, poignante et douce. Ce sera l’humeur du soir, fugacement éternelle, alors que cette journée s’achève, imparfaite et merveilleuse, bouleversante et à sa juste place. Alors que le soleil se cache derrière la maisonnette verte des toilettes et que j’attends avec impatience qu’il embrasse l’horizon pour le regarder dans les yeux.

Le soleil se lève gris de nuages – ou plutôt blanc d’ailleurs – comme chaque matin d’Islande. L’océan déferle toujours à mon oreille et le vent me glace le sang. J’attends une heure au point le plus à l’Ouest de l’Europe, attaquée à pic d’oiseaux parfois, qu’un carrosse veuille bien m’élire pour ce cahoteux trajet. Un Allemand dont je comprends si peu l’anglais que je ne connaîtrais jamais son identité me choisit finalement. Un Allemand qui correspond parfaitement au cliché de l’Allemand tant son accent est fort, tant son pull ressemble à la Bavière. Il me dépose sans préambule ni épilogue au véritable croisement de la plage rouge car un bateau l’attend quelque part. Le paysage a doucement pris de nouvelles couleurs au détour de notre retour, défilant le même panorama éblouissant qu’hier, s’offrant plus calmement mais tout aussi brillant à mon arrêt d’auto-stop.

Puis, après deux minutes trente d’attente au soleil du vent, un 4×4 blanc, chargé de pâtes et d’huile d’olive aux accents italiens s’arrête, Sylvia et Angelo, en road trip pour un mois me partage leur voyage pour un infime instant. Le temps d’apercevoir la plage rouge plutôt jaune vue du ciel, d’enfin voir les falaises de Látrabjarg au loin, de marcher au bord de l’eau et sur les marais sans voir les vagues et nous voilà repartis. Un aller et retour, c’était le point de jonction de nos vies avant qu’elles ne se séparent de nouveau, à jamais.
Puis, après un en-cas aux abricots secs et aux amandes et une attente plus longue mais pas aussi longue qu’au matin, une nouvelle jeep, dirigée par les locaux qui tiennent le camping où j’ai hésité à passer la nuit, s’arrête pour me déposer à Patreksfjörður. Là, j’attends ma nouvelle automobile pour me rendre à Reykjafjardarlaug. Je mange trois chips aux oignons et un pêcheur s’arrête, s’excusant de son odeur du poisson et me propose de m’avancer jusqu’à Bíldudalur où j’ai longuement hésité à aller à cause de la dame au tricot qui pourrait s’y trouver. En chemin, nous parlons de la crise politique, de la nouvelle assemblée de citoyens lambdas qui est en fait un mythe**, de la constitution qu’ils ont proposée mais qui a été rangée dans un tiroir par les politiciens : « merci mais non merci » ; de l’envie de se débarrasser de l’ancien système qui a finalement échoué, l’ancien système est toujours là. Ainsi, mon absolu islandais, ce qui m’apparaissait comme une exemplarité pour un monde meilleur, ce qui était ma promesse pour demain, a été broyé comme tant de révolutions, pacifiques ou non, avant lui. Ce marin-pêcheur me raconte ses études de droits, son collègue étudiant qui lui a appris à apprécier le vin, il m’explique son choix d’être pêcheur plutôt que recouvreur de dettes ; la crise a éclaté quand il a eu fini ses études, la valeur du poisson a alors flambé en une nuit, destin bien plus glorieux que la seule profession que sa licence en droit et le contexte économique lui offraient alors. Mais toutes nos discussions se figent à la vue du Fjord de Bíldudalur qui dégringole sous mes yeux extasiés, il aime partager sa voiture avec les auto-stoppeurs qu’il rencontre sur le bas-côté car il se souvient alors de la chance qu’il a de vivre dans un cadre si magnifique.

Arrivée à destination, je pars à la recherche de la dame au tricot, elle est là minuscule et humble avec les maigres trésors qu’il lui reste à vendre ; j’achète de nouvelles chaussettes mais pour une amie cette fois-ci. Et je reprends mon attente devant le Fjord immobile, à regarder les nuages former de nouveaux dessins sur les plateaux parfois dentus. J’attends longtemps espérant rejoindre la piscine d’eau chaude de Reykjafjardarlaug, mais j’ai le temps. Et finalement, une voiture perchée de vélos s’arrête, conduite par Krzysztof et Łukasz, Polonais de leur état, qui font le tour d’Islande parce que Łukasz est boulanger ici depuis trois ans.
On fait halte à chaque nouveau point de vue mais je décide de ne pas m’arrêter à Reykjafjardarlaud, décevant. Je n’en reviens pas des paysages qui défilent, des canyons, des plateaux désolés et glacés des neiges éternelles des Fjord, des cascades qui percent parfois, des lacs d’océans entre chaque extension de terre, de l’eau si bleue, du vert parfois rouge. De la pureté du panorama. Il y a quelque chose d’intact dans les tracés islandais, un peu comme aux Amériques, car presque absolument épargné de toute marque d’humanité. Cela m’émeut incroyablement de penser que la nature construit de telles immensités. Au détour de ses émotions grandiloquentes, de ces merveilles absolus, je finis par mettre un mot sur ce qui me bouleverse : j’avais compris la théorie du Fjord, des nez de terres qui jouent à trappe-trappe avec la mer, mais je n’en imaginais pas la réalité concrète, je n’attendais pas à une telle grandeur. On pourrait croire que l’on se lasserait du principe de cette répétition, monter sur un plateau désert et redescendre sur une nature plus colorée, sur des eaux et de la terre ; néanmoins chaque nouveau fjord a son caractère et sa beauté.

Nous atteignons finalement notre destination commune : Dynjandi Fjallfoss. Et là encore ces cascades infinies et répétées jusqu’à l’ultime sont impossibles à redessiner avec des mots, de l’entrée qui serpente entre les deux morceaux de terre pour laisser s’épanouir l’eau sauvage, un torrent vivant et exhultoire, alors que la cascade suprême qui le nourrit est visible depuis le premier instant, immense et silencieuse. Les roches se sculptent au fil de l’eau, elles s’élèvent presque en ruines de château. Le vert de la mousse imbibée est presque hypnotisant, troublant, tant il se différencie de la roche acide du sommet. Toute cette nature se meut sur fond bleu du ciel et de l’océan, alors que l’on devine dans le fin couloir au bout de la terre, un autre Fjord où les nuages se sont arrêtés pour la nuit invisible. Le soleil se rapproche lentement de l’horizon, déposent de nouvelles palettes à la fois plus chaudes et plus froides sur le paysage.
Puis, nous reprenons la route, je n’ai pas encore décidé si j’atteindrai Ísafjörður ce soir comme mes compagnons éphémères. Les routes tournicotent et s’entremêlent, particularités intégrées du paysage, dévoilant de nouveaux nuages, de nouveaux torrents, de nouveaux bouleversements et je décide que je veux rester plus longtemps cachée au cœur des fjords, afin de m’endormir dans la douceur unique du renfoncement de l’eau.
Nos chemins se séparent donc à Þingeyri. Pendant quelques heures, le destin de ces deux polonais et le mien ont été inextricablement liés, absolument oublieux de notre réalité personnelle, mais la séparation nous ramène alors intimement à chacune de nos vérités : Łukasz redevient le père de famille exilé de sa femme et de sa fille en Pologne pendant qu’il travaille à Reykjavik. Et je suis à nouveau cette fille ordinaire qui se débat chaque jour avec ses pensées plus ou moins fleuries selon les heures. Et à la lueur doré de mon nouveau campement, je m’enchante, je me questionne, de ces rencontres qui nous traversent, jamais anodines mais très éphémères tandis que d’autres, toutes aussi hasardeuses, toutes aussi imprévues, s’imprègnent dans notre vie à jamais et bouleversent notre façon d’être au monde.
Épuisée de cette nouvelle journée interminable, je regarde derrière le prochain Fjord qui se baigne dans une mince couche de nuages, parfait repos pour le soleil de cette plage noire que j’ai hâte de découvrir à la lumière du jour.

Je pars de Þingeyri par un grand ciel bleu, sans vent, presque en été indien de l’Islande, grâce à la générosité d’un nouveau pêcheur, lui aussi originaire de Reykjavik mais qui a décidé de se reconvertir dans le poisson. Il m’explique la migration des sternes arctiques : ces oiseaux si agressifs suivent la lumière des pôles afin de ne connaître que les jours infinis des extrêmes du monde. Je traverse avec lui deux nouveaux Fjords, dont l’un est plus âpre que l’autre, comme si l’océan s’était lassé d’aller toucher le creux de la terre. Puis nous transperçons le tunnel à une seule voie qui amène à Ísafjörður. C’est alors comme si j’avais changé de pays et d’hémisphère, le baromètre du thermomètre descend jusqu’à 5°C. Le vent venu du Pole Nord pour refroidir l’Islande balaie déjà cet ouest et je me gèle.
La ville est coincée entre deux Fjords, avec pour seule vue un Fjord enneigé qui bouche la sortie et pourrait étouffer certains claustrophobes, le cadre est tout de même joli. Il y a une sensation plus industrielle que je n’aurais crue cependant ; un bateau de croisière vient déverser ses centaines de touristes toutes les deux heures, donnant la sensation aux habitants de vivre dans un village de poupée. Les maisons se chevauchent presque, en bois coloré comme à Reykjavik, sauf qu’elles sont là véritablement à flanc de nature. Je me balade, j’hésite entre le musée des West Fjords et une petite randonnée, je regrette de ne pas être allée dans le Narc National de Hornstrandir , me souviens que le bateau coûtait trop cher et me décide finalement pour la balade dirigée et expliquée par le monsieur de l’office du tourisme.

Alors mes pas s’effilent vers le sommet, j’entends bien le corbeau qui plane au-dessus de moi me croassant que tout doit finir afin qu’une autre chose toute aussi belle puisse se présenter, je suis si fatiguée de toujours revenir à certains fantômes dès que mon âme tangue. Aussi sûrement que les falaises de Látrabjarg étaient solitaires, cette balade à Ísafjörður sera occupée et blessée par le passé. Je pense à ce que j’ai écrit la première fois que je suis partie en voyage, que l’on laisse une part de notre joie et de notre tristesse à l’endroit de notre départ. Mais cela ne peut être vrai que brièvement car la durée ramène toujours immanquablement à son être profond. Non ? Mais cela ne peut être vrai que si l’on ne revient jamais à l’endroit de notre tristesse. Non ? Est-ce que retourner en Ecosse me plongerait automatiquement face à la douleur irradiante de mon cœur brisé, ou me serait-il possible d’être au présent de qui je suis aujourd’hui, puisque j’ai recollé mes morceaux petit à petit ?
Mais j’oublie l’Islande, mes philosophies fumeuses sur la vie ; et je marche, regardant Ísafjörður d’en haut au bruit des voitures, je rentre plus au creux de la montagne, effaçant le bruit de la civilisation. Je contemple le Fjord d’en haut, je tente de fatiguer mes rivières salées et je suis la cascade à pic vers la descente. Je me promène trois bonnes heures, j’apprécie d’enfin sentir mes muscles travailler.
Arrivée en bas, il est l’heure de lentement commencer mon retour vers Reykjavik. Mon pouce s’élève à peine qu’un 4×4 noir se décale de la chaussée pour m’accueillir jusqu’à même plus loin que demandé. Lea est au volant, elle est la rencontre du corbeau, celle que le destin a choisi pour gentiment accompagner cette fin de journée. Nous échangeons nos blessures les plus vives et les plus secrètes en trois heures de route, répondant invisiblement au besoin de chacune à cet instant.
Au fil de cette rencontre, je découvre la partie orientale des West Fjords, plus doux, plus bas, plus cahoteux, un mélange confondu de terre et d’océan parfois. Nous longeons Hólmavík dont le Fjord si grand et si tranquille ressemble presque à un lac. Le paysage se transforme, il retrouve les formes si particulières de la péninsule de Snæfellsnes, les montagnes m’offrent des visages improbables, elles se couvrent de reliefs étranges, et l’on voit soudain percer le soleil sur l’océan de nouveau occidental. Lea m’explique qu’elle aime particulièrement cette route qui redescend vers l’Ouest en hiver. Ísafjörður, plus au Nord, ne connaît alors que la nuit, mais quand elle arrive à ce croisement, quand elle retrouve ce côté de l’île, elle peut apercevoir la faible lumière de Reykjavik. Elle peut se rassurer pour un infime instant de grâce : le soleil n’est pas encore mort, il n’a simplement pas terminé sa lente croisade hivernale.
Lea, cette rencontre si particulière, fugace et pourtant destinée, quitte le chemin parallèle au mien pour s’évader le temps d’un weekend, alors que j’endors périlleusement mes pensées fragiles au bruit du vent de Laugar.
Et après une nuit bleue, et après une matinée indolente à récupérer le retard de mes correspondances, je reprends ma route vers Reykjavik. Presque immédiatement prise en stop par Whitney et Rich, tous deux Californiens et en goguette européenne, qui confirment un autre type de rencontres, immédiates et joyeuses. Whitney me donne ses coordonnés si j’ai l’envie de découvrir le lake Taho lors de mes pérégrinations américaines et je leur partage tous mes conseils irlandais, prochaine destination de leurs vagabondages. Ils me déposent à la jonction entre la péninsule Snæfellsnes et l’arrière-pays.
Après une dizaine minutes d’attente, une fermière du Nord en route pour le concert d’Ed Sheran me cueille dans son habitable chaud et rassurant, même si ses plaquettes de frein sont dangereusement usées. Nous causons de sa vie islandaise et de l’eau immensément bleue lagon de la baie de Borgarnes. Et Reykjavik se tient à nouveau devant moi, je reconnais enfin le mont Esja, première vision magique de mon arrivée, non plus soufflée mais défiée par le vent d’hiver. Le temps d’acheter une saga islandaise, mes dernières cartes postales pour mes oubliés, de boire une dernière bière au port avec Weronika ; il est déjà l’heure d’anticiper mon départ et de m’extraire de Reykjavik, alors que mon corps s’épuise du froid et des nuits de camping, que mon cœur se suspend de sa langueur.

Transcendance de l’atmosphère
Látrabjarg, 7/08/2019
J’ai plongé dans le cœur des pierres
Entre les ères glacières
J’ai creusé le bleu de la mer
J’ai goûté les eaux marinières
Soudain le monde est immense
Soudain chacun est un mystère
Soudain la vérité dégringole
magnifiquement sublimée
dans les larmes de bonheur
que se partagent les Fjords
d’été
La neige est bleue à leur pied
Ils s’offrent vertement aux jours
sans fin
Ils se donnent royalement
humblement
à mes yeux oubliés
Soudain le Fjord est tout un monde que je ne voudrais jamais quitter

* lire l’Epilogue de ma fuite bienvenue
** L’Assemblée de citoyens tirés au sort n’a été effective que pendant les premiers mois de la nouvelle Islande, recomposée de façon éphémère afin de proposer une nouvelle Constitution. Il n’a jamais été question, comme je le croyais, d’établir ce nouveau système de façon plus pérenne.
Justine T.Annezo – 7 au 10 août 2019, West Fjords – GTM+0