Billet d’humeur #6

VIE IMMOBILE

En français, on appelle ça une « Nature Morte » ; dans les autres langues, on parle de « Vie Immobile » pour dépeindre un « Coin de Cuisine ». C’est pas moi qui le dit, c’est France Culture.

Une Vie Immobile c’est bien plus prometteur, c’est bien plus vivant. Parce que même dans l’immobilité, un mouvement, même infime, réside. Quand l’Être humain se tient immobile, ses narines frétillent, son cœur se soulève, son sang palpite, ses cellules tambourinent. Quand l’Être humain se tient immobile, quelque chose en lui, inextricablement, se meut. Une Vie Immobile, c’est bien plus parlant qu’un avis de décès sur une nature qui, elle aussi, bien qu’immobile parfois, remue de l’intérieur.

Peut-être même que cette immobilité nous met plus en action que toutes les mobilités du monde. L’immobilité nous rend plus attentifs à ce qu’il se passe à l’intérieur. Et alors on réalise qu’il n’ait point besoin de grands mouvements pour saisir un changement perceptible en soi. Il nous suffit de nous livrer pleinement à notre corporalité et aux voyages qu’elle contient sous ses 2m² de peau.

Et dans cette immobilité de l’instant, de cette minute où j’écris, tout bouge autour de moi. Tout s’agite en moi. J’appréhende différemment ce qui m’entoure. Le silence et le bruit mettent en mouvement les vibrations invisibles de l’atmosphère dans mon oreille. L’odeur indescriptible de la pluie s’effeuille sur le bitume ou sur un carré vert jusqu’à mon nerf olfactif. La bise légère et humide secoue le duvet de mes bras courts. L’hirondelle virevolte dans le ciel rose du soir et dans mon œil pailleté. Le goût d’ail du houmous s’éternise contre mon gré sur ma langue. Mon corps bouge même s’il n’en laisse rien paraître et mon âme bouge avec lui.

Ce n’est pas une nature morte. C’est Immobile. Tout au moins en apparence. Mais ça vit. Et je laisse mon corps m’en faire un poème.

Et cette immobilité de l’Air qui fabrique cette mouvance mentale, cette danse corporelle, est-elle moins vaillante que les épopées d’Ulysse et les Odyssées de Pyrame ? Est-elle moins valable que les grands canyons et les petites ruelles ? Car alors même, pour pouvoir les apprécier, il faut s’arrêter, sur un pied ou sur une roue, et les contempler à loisir, et leur permettre de nous bouger à l’intérieur.

Cette immobilité de l’Air, un instant d’avril où la chaleur grisée me donne envie de découvrir les fils tout en gardant mon tricot. Où les oiseaux de la nuit dont je ne connais pas le nom fredonnent à mon balcon. Où le chant du soir enveloppe mon humeur et mon salon. Cette immobilité de l’Air me raconte une histoire de rien, une histoire de vie. Un moment créé. Un moment vu. Un moment lu. Cette immobilité de l’Air me parle de ma journée, de mes petites victoires et de mes tracas qui s’apaisent. De mes douces paroles et de mes tendres maux. De mon bureau en bois et de la chaise qui lui fait face. Pour accueillir mes élans, mes inspirations et mes ratées. Cette immobilité de l’Air célèbre cette pause que je rends à moi-même, cette église qui sonne 19h et la fin de ma journée de travail, ce champ des possibles qui s’ouvre à ma soirée, cette bonne résolution que j’ai finie par embrasser.

Faire ralentir le temps pour le mettre au rythme de mon cœur. Au diapason de mon état. Et non plus le contraire.

Certes, je n’écris pas de grandes envolées. Je décris un morceau de quotidien alors que mon cerveau bat dans mon oreille, fracasse mes temps pour signaler sa fatigue, pour manifester son inspiration molle, ses aspirations bleues. Je décris un morceau de vie ordinaire, de vie immobile, alors que le printemps sent déjà l’orage d’été sans la pluie et que je me languis du tonnerre.

Justine T.Annezo – 26 avril 2023 – GTM+2


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