Fêtes vos jeux !

BILLET D’HUMEUR #11

Crédit photo : Eurosport

Je vais être totalement honnête : comme 95 % des Français, je n’étais pas franchement emballée par les JO à Paris. Je dirais même que j’étais complètement contre !

Ca a commencé quand, en 2021, j’ai entendu parler de la polémique autour de la construction d’une piscine olympique qui allait détruire, à Aubervilliers, 19 parcelles de jardins ouvriers, vecteurs de lien social, nourrissant les familles les plus modestes du quartier et plus en accord avec une certaine idée de l’écologie. La lutte écologique des classes a perdu, le village olympique a été construit*.

Ca m’a écœuré quand, au printemps 2024, j’ai découvert que l’on raflait dans les rues de Paris toutes les personnes sans domicile fixe pour les convoyer vers les villes de province. Oui parce que ça fait désordre la pauvreté quand on veut faire bonne figure devant le monde entier. Que l’on virait les étudiants de leurs logements universitaires, parce qu’il fallait bien caser tout ce beau monde qui débarque.

Ca m’a carrément fait vriller quand Macron s’est caché derrière les JO pour ne pas choisir un.e premier.e ministre, a fait un déni de démocratie, entretenu le chaos qu’il a lui-même dégoupillé le 9 juin et profite de l’évènement pour se refaire une santé médiatique (il aurait gagné deux points dans les sondages grâce à ses mamours à la limite du supportable à tous les athlètes français victorieux).

Et je ne parle même pas des 1,4 milliards d’euros dépensés pour dépolluer la Seine pendant que des gens crèvent la dalle et que l’on refuse de véritablement investir dans une politique écoresponsable ; ou de mon profond sentiment d’injustice et de révolte quand j’ai appris que la Russie était exclue des Jeux mais que l’Israël avait le droit de parader…

Ainsi, comme 95 % des Français, je voyais tout ce flonflon d’un bien mauvais œil.

Puis, il y a eu la cérémonie d’ouverture orchestrée par Thomas Jolly…

Et la France, et moi avec, s’est émerveillée.

Puis il y a eu la victoire de l’équipe de France de Rugby à VII, marquant une revanche sur la Coupe du Monde manquée…

Et la France, et moi avec, s’est enjaillée.

Puis, il y a eu les deux nouveaux titres olympiques de Teddy Riner…

Et la France, et moi avec, s’est réveillée.

Puis, il y a eu les quatre médailles d’or et la médaille de bronze de Léon Marchand…

Et la France, et moi avec, s’est enflammée.

Après des semaines au cours desquelles le pays s’est déchiré à coup d’élection, de débat télévisé ou dominical, d’arguments et de contre arguments, de manifestation dans les rues, de violence dans les mots et les actes ; soudain, le temps s’est suspendu pour permettre au peuple d’afficher certains sourires oubliés…

TOP 3 de mes moments préférés des JO
N°3 : Pour la quatrième médaille d’or de Léon Marchand, tous les supporters français qui assistent à d’autres épreuves, notamment l’escrime, sont rivés sur leur téléphone pour suivre sa victoire en direct. Ce qui a provoqué une explosion de joie dans les tribunes du Grand Palais, obligeant les escrimeurs à laisser passer la vague de joie qui ne les concernait pas.

Panem et circenses. Disent certains avec un rictus ironique dans la bouche. « Donnez-leur du pain et des jeux ». Et tout est oublié…! Sauf que du pain, il est probable que l’on en manque : 2024 devrait être l’un des pires crus pour la récolte de blé tendre en France depuis une quarantaine d’années ; alors anticipons sur la faim et approprions-nous ces jeux !

Sortons des phrases toutes faites et des évidences faciles qui coupent l’herbe sous le pied à toute espérance. Enlevons les paillettes et revenons à l’essence du sport.

En tant que peuple, faisons un pas de côté, affranchissons-nous de notre cynisme de posture, des dictons dont on nous impose la signification, et saisissons l’étincelle d’espoir allumée avec la dissolution du gouvernement le 9 juin, embrasée avec la vasque olympique le 26 juillet, pour la transformer en brasier démocratique, humaniste et universel !

Enveloppons-nous de cet espoir, non pas comme d’une flammèche que l’on nous aurait « accordée », comme une faveur qui nous serait donnée, comme une mascarade pour nous endormir…
Enveloppons-nous de cet espoir comme d’un feu follet à canaliser, comme un droit à défendre une humanité plus juste, comme un spectacle pour nous mobiliser !

Parce que, malgré ce que l’on voudrait nous faire croire, malgré la règle 50 de la charte olympique, malgré la poudre que l’on nous met aux yeux pour nous éblouir, les JO, en tant que puissante plate-forme pacifique, sont, par nature, infiniment politiques. Léon Marchand** et Hugo Hay*** nous ont montré l’exemple, et il est temps d’utiliser ce tremplin pacifique pour prendre cette parole politique ! Dans le sens noble et premier du terme : « qui concerne les citoyens ».

TOP 3 de mes moments préférés des JO
N°2 : Le podium de gymnastique féminine sur lequel les deux américaines, Simone Biles (argent) et Jordan Chiles (bronze), se sont littéralement mise à genoux devant la prouesse de la médaillée d’or brésilienne, Rebeca Andrade.

Pour ma part, d’une façon complètement imprévue, les JO, dans toutes leurs imperfections et leurs limites indéniables, m’ont redonné espoir. De quoi je ne sais pas trop. D’une révolution prometteuse ? D’un rassemblement populaire ? Les JO ont ranimé un sentiment semblable à ce que la création du Nouveau Front Populaire a fait naître en moi : face à l’urgence nationale et mondiale, nous serions prêts à mettre les égos de côté pour œuvrer à une cause plus grande ? Cette promesse s’est peut-être même un peu affermie : le Nouveau Front Populaire m’a donné l’espoir de nous réunir entre gens de mêmes pensées, quand les JO m’ouvrent l’espérance de nous réunir au-delà de nos différences. Quelles qu’elles soient.

Les JO représentent alors, pour moi, la quintessence du sport.
Aussi bien sur le plan individuel : le champ des possible qui s’ouvre à la gamine qui boxe sa vie et au gamin qui survit grâce à la gymnastique.
Que sur le plan collectif : le pouvoir de créer une émotion collective puissante, une sensation de communion inégalée. Non pas seulement parce que, soudain, notre sentiment d’appartenance à une nation est exalté (saluons néanmoins que, pour une fois, défendre les couleurs d’un drapeau ne veut pas dire se mettre en guerre contre son prochain) ; mais parce que, pendant quelques minutes, heures, jours, semaines, une portion infinie de l’humanité est unie autour d’un même évènement.

Et ne croyez pas que j’écris ici un appel hors-sol complètement déconnecté de l’autre réalité des JO.
Je n’ignore pas le cyberharcèlement antisémite, sexiste, homophobe, le tout aggravé de menaces de mort, subi par Thomas Jolly et Barbara Butch « à cause » d’une cérémonie d’ouverture artistique et lumineuse, d’un fabuleux mélange des genres, dans tous les sens du terme, qui voulait « créer des ponts à la place des murs », d’un spectacle intelligent tout en restant accessible, d’une proposition multiple, sensible, belle, démesurée, moderne, un peu tape à l’œil parfois, mais représentant tout ce que le théâtre a oublié d’être au cours des dernières décennies pour pleinement jouer son rôle : se montrer résolument populaire dans ses choix artistiques sans jamais tomber dans la complaisance.
Je ne ferme pas les yeux sur les odieux commentaires racistes de certains Français face aux athlètes tous aussi français mais dont la couleur de peau devient le prétexte à la haine. Ni sur les autres réactions sexistes, intolérantes, injustes, vis-à-vis d’autres athlètes internationaux.
Je ne fais pas la sourde oreille à la misère qui n’a pas fait de pause dans son expansion et au sang qui a continué de couler sur toutes les terres en guerre.
Je n’oublie pas tout ça ! Au contraire, c’est aussi tout ça qui allume mon étincelle pour la transformer en brasier.

TOP 3 de mes moments préférés des JO
N°1 : Pendant la finale de handball féminin, deux joueuses, une française et une norvégienne, se percutent pendant une action. Les deux athlètes se sont tout de suite pris dans les bras avec le sourire pour effacer cette collision.

Aujourd’hui, la cérémonie de clôture va fermer une parenthèse de joie galvanisante, réouvrant les blessures qui n’ont pas été proprement pansées.

C’est pourquoi, pour toutes les raisons politiques qui m’ont d’abord poussée à questionner les jeux, je choisis d’écrire ce billet, l’espoir dans le cœur, la rage dans le ventre.

Si Léon Marchand peut remporter cinq médailles…
Si Armand Duplantis peut battre (deux fois en trois passages) son propre record de saut à la perche lui offrant une nouvelle médaille d’or…
Si Omar Ismail a pu aspirer à être le premier athlète palestinien médaillé…
Si Gabriel Medina peut léviter au-dessus de l’eau…
Si Cindy Ngamba peut être la première athlète réfugiée à décrocher une médaille olympique (bronze)…
Si les athlètes nord et sud coréens peuvent symboliser la réconciliation par un selfie qui les réunit…
Nous pouvons bien faire fi de nos différences et faire front, pas seulement en urgence avec un bulletin de vote revendicateur, mais patiemment avec un élan d’espoir unificateur, afin de faire coexister nos rêves humains et humanistes pour un monde imparfait et perfectible mais résolument multiple.

Alors que la cérémonie de clôture s’apprête à nous transcender, je fais ce vœu probablement incertain et fou, avec tout l’amour que j’ai dans le cœur, qu’on ne se réveille pas demain avec une grosse gueule de bois et un putain de bordel à ranger, mais avec une flammèche d’espoir transformée en brasier de possibles.

Justine T.Annezo – 11 août 2024 – GTM+2

* J’ai découvert, entre temps, que le Village des athlètes étaient censé être « recyclé » en futur quartier durable accessible à toutes et tous et ça m’a un peu réconciliée.
** Léon Marchand a appelé à voter contre le RN au moment des législatives.
*** Hugo Hay a interpellé Macron lui rappelant que les jeux de Paris ne sont pas lui mais aux athlètes.


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