Jour 4 – La marche du souvenir « L’indicible mémoire »

VOYAGEUSE INTEMPESTIVE – « Ich liebe Berlin » #5

Je pars à l’ouest ce matin, même si à priori, je suis toujours, selon l’ancien mur, dans Ost Berlin ; le thème que j’ai donné à cette journée planant dans mon esprit.

Je ne compte ni les minutes ni les pas pour me mettre en chemin, je ne compte plus non plus les minuscules carrés de bronze enfermés dans le goudron pour rappeler qu’ici 1, 10, 30 juifs vivaient et ont été déportés, gazés, assassinés sous le IIIème Reich.

Affigée mais « heureuse » que le travail d’oubli « Nuit & Brouillard » n’ait pas fonctionné, j’arrive finalement, seul hors sujet du parcours, à Hamburger Banholf (pas une fabrique d’hamburger attention !), l’ancienne gare d’Hambourg transformée en musée d’art (un peu comme celui d’Orsay) très contemporain. Ce qui n’est pas vraiment mon truc mais j’ai dit qu’à Berlin je faisais des choses nouvelles alors je me laisse tenter (bon ça marche pas trop trop, sauf lorsque, comme la vieille, je reconnais la réponse à l’histoire dans l’œuvre, ce qui me touche).

Puis, arrivée au bout de mon marathon des musées, il est temps de changer de sujet, de parler d’histoire et de remettre mes pas dans le Berlin des années 1930-40.

Après un falafel döner pris dans l’un des meilleurs et traditionnels Imbiss de la ville, je longe la Spree qui, elle-même, longe la Band des bundes, les lieux de pouvoir tous plus impressionnants les uns que les autres, dont le Reichtag, majestueux dans le soleil qui transperce son toit de verre.

Au fil de ma promenade qui m’emmène au coeur de l’horreur, je garde encore en mémoire le souvenir de la veille à la Neue Nationalgalerie : recontextualisées historiquement et sociétalement, abritées par cette ville significative, les œuvres post 45, la voix des artistes justement laissés sans voix, m’ont complètement renversée à certains endroits. Je sais, intellectuellement, l’impossible art d’après-guerre, l’absurdité de faire du beau après l’horreur, la nécessité d’exprimer le traumatisme par d’autres moyens. Mais le voir sous mes yeux, ici, maintenant, en images, j’en ai pris toute la mesure, toute l’affreuse mesure.

Et après ce détour, dans tous les sens du terme, je vais véritablement me heurter, il n’y a pas d’autre mot, à l’Histoire.

Je prends le temps de regarder d’en bas et sous toutes ses coutures, l’ancien Ministère de l’aviation, seul rescapé de l’architecture rêvée par Hitler pour son Allemagne de demain dans cette ville qu’il détestait. Face à cette montagne de granit taillée selon des lignes épures et gigantiques, je me rends compte à quelle point je me sens petite. Ici. Maintenant. Je suis écrasée par cette folie des grandeurs, par cette démonstration ostentatoire de pouvoir. Et je suppose que c’était là l’un des effets escomptés : nous faire sentir aussi minuscules que la petite bête européenne qu’un moustachu s’apprêtait à piétiner de son petit talon.

Mon malaise en baluchon, je poursuis ma route jusqu’à l’ancien centre de torture de ses opposants, ou plutôt dans les vestiges invisibles mais bruyantes des bâtiments détruits par les bombardements alliés, où je redécouvre au fil des panneaux d’exposition chaque étape de la jusqu’à la chute de Berlin.

Je sors de cette journée lessivée, physiquement, moralement et émotionnellement.

Je vais néanmoins rendre hommage, avant de rentrer, aux victimes du nazisme : les malades et les handicapé.e.s torturé.e.s et assassiné.e.s, commémoré.e.s dans un parc derriere la philharmonique ; les juifs et les juives d’Allemagne reposant enfin dans les tombes de la Shoah, un cimetière à ciel ouvert qui pleure encore ses morts.

Justine T.Annezo – 24 avril 2025, Topographie des terrors, Berlin – GTM+2


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