
C’était un mardi comme un autre. Ou presque. J’avais le cœur palpitant et la rêverie dans la griserie. Je n’arrivais pas à me concentrer plus de trois minutes pour aligner deux phrases l’une après l’autre. Ce mardi-là, je n’avais pas envie d’écrire. Mars me donnait-il trop la bougeotte en cette journée qui lui était dédié ? Où était-ce l’un de ces jours au hasard – un peu comme aujourd’hui finalement – où l’inspiration m’abandonnait capricieusement ? J’errais donc sur les touches de mon clavier, je serpentais entre la lampe en étain sur mon bureau et la théière en porcelaine sur le comptoir de la cuisine. Comme une âme en peine pourtant soulevée de joie. J’avais le palpitant trop haut les cœurs pour avoir l’imaginaire en poupe. Je trouva alors refuge à la fenêtre dorée de ma chambre, fenêtre sur le monde inhabité. Je laissais mon regard se perdre dans le défilé des nuages qui me racontaient d’autres histoires nébuleuses. Celles que je n’écrirais jamais. Celles qui ne sont que passagères. Celles qui ne peuvent être autrement que vécues.
Quand soudain – ou était-ce un processus plus lent ? quand peu à peu ? -, l’alliance du vent, des dernières rayons de soleil et de quelques strato-nimbus fabriqua un phénomène extraordinaire dans mon regard. Du jamais vu. Une sublimation de ma rêverie. J’utilisais la vision télescopique de ces nuages lenticulaires pour contempler le fond de mon âme, pour percer les mondes invisibles de mon œil aventurier.
De quelle immobilité m’étais-je faite la Papesse ? J’étais figée dans la douceur confortable de mon lit aux draps blanc telle une princesse oubliée, le monde hors de ma portée, de la portée de tous, depuis près d’un an et j’avais enfin appris à me régaler de cette beauté universelle qui décida de se magnifier sur les toits profanes et barbares de Carcassonne. Ce ciel eut été tellement plus beau au dessus du Grand Lac Salé de l’Utah, tellement plus contrasté s’échappant de la Péninsule Olympique vue de Victoria, tellement plus émerveillé sur la crête de Denali. Ici, les maisons qui lui servaient de rempart s’effilochaient identiques dans les années 1970. Et cette foutue antenne venait gâcher ma tentative photographique. Oui mais c’était ici. Maintenant. Nulle part ailleurs. Comme la récompense de mon immobilité. Jadis forcée. Maintenant adoptée. Ou au moins accompagnée.
Alors même si le décor n’était pas très photogénique, je ne voulais pas être autre part sur la Terre. Je voulais être. Ici. Maintenant. Je voulais voir le monde à travers cette lentille irisée, à travers la nacre de mes souvenirs, à travers la tresse de mes mots. J’étais emplie. De toute la simplicité qui fait le bonheur. Ce paysage des cieux n’était plus – comme pouvaient l’être il y a plusieurs mois certains panoramas étrangers – la raison de ma félicité, il en était la manifestation. J’étais emplie. D’amour. De promesse. D’espoir. De possible. Je l’étais déjà avant le kaléidoscope. Je le serais toujours après le périscope.
Alors que la fabrication nuageuse avait été un processus lent, magnifié par l’éclat que lui avait donné la dernière lumière ; la disparition, en revanche, fut soudaine. Beauté éphémèrement déposée par les Dieux du Vent, de l’Eau, de la Lumière et de la Terre pour nous dire quelque chose. Ou pas d’ailleurs. Pour que l’on s’en raconte une rêverie. Pour que l’on s’en invente une histoire. Car, à présent, soutenue par mon télescope kaléidoscope, j’étire ma longue vue sur mon imaginaire afin de vous délivrer ce poème.

Le vent souffle à mon oreille
Il vient de l’Est Il vient du Sud
Il me parle de monts et merveilles.
Transie de béatitude
Je murmure en retour
Avec tendresse Avec passion
Toutes les promesses d’amour
Dont la bise s’est fait l’annonciation.
Heureux qui comme Ulysse
A fait un long voyage
Disait l’adage
Je préfère maintenant être heureuse comme moi
Qui connaît la douceur de l’émoi
Sans plus tomber dans l’abysse !
Justine T.Annezo – 1er Février 2021, Carcassonne – GMT+1