PROLOGUE

Ca me prend régulièrement, comme une envie de fraises ou d’amour. C’est incompressible : il faut que je parte. Quelque part. N’importe où. C’est une injonction céleste : il faut que je m’en aille. Tout de suite. maintenant. Je ne suis même pas sûre que cela parte vraiment d’un désir, cela se transforme en désir au fil des destinations ; mais au départ, c’est plus un besoin, une obligation, une mission. C’est non négociable.
Nécessité de changer d’air, de bouger d’horizon, de muer l’atmosphère. Il faut que je parte. Quelque part. N’importe où. Tout de suite. Maintenant.
Avant, c’était toujours loin. De plus en plus loin.
Aujourd’hui, c’est toujours loin. Au moins à la première pensée, au moins au premier réflexe. Par exemple, il y a un mois, un mois et demi, il FALLAIT que je parte à Berlin. Je venais de regarder Berlin I Love You*, un soir de bleu dans l’âme, et j’ai été prise par le besoin irréversible d’aller à Berlin en avril. Maintenant en fait ! Puis, j’ai regardé les billets de train et ça m’a refroidi. Trop cher ! Puis, j’ai jeté un coup d’œil aux billets d’avion – sait-on jamais sur un malentendu, j’allais m’arranger avec ma conscience – et mes espoirs ont fini de s’enterrer. Trop court !
Maintenant, j’ai besoin de faire concilier mes injonctions célestes, mon emploi du temps et ma conscience écologique. Ce n’est pas que je n’avais pas de conscience écologique avant, mais elle s’est aiguisée avec l’âge. Je ne réserve plus jamais un billet d’avion pour un séjour de moins de trois semaines pour une destination raisonnablement accessible par d’autres moyens… Ce qui met le principe de réalité largement en travers de mes envies. Car si l’argent ne m’a jamais retenu (au grand dam de ma mère !) face à mes injonctions transformées en désir – je préfère manger du beurre de cacahouètes tous les jours sur les routes Nord Américaines que de me faire un plat de lasagnes végétariennes bio dans mon salon toulousain – ; donc si l’argent n’a jamais été un frein, le temps en revanche n’est pas extensible. Et ma patronne – c’est à dire moi-même – n’est pas franchement cool en termes de congés non payés… Il y a huit ans, je m’autorisais une escale de trois semaines en Irlande parce que j’avais l’excuse du théâtre, et il il y a un mois, un mois et demi, je n’avais pas (encore) trouvé mon excuse berlinoise. Donc en avril, je n’avais pas le temps de me faire un périple en train jusqu’à Berlin – et puis, soyons honnête, je m’assagis quand même un peu avec l’âge, je n’avais pas l’argent non plus ! – mais je ne désespère pas, j’irai peut-être en mai… Ou en septembre.
Ca me prend régulièrement, comme une envie de fraises ou d’amour. C’est incompressible : il faut que je parte. Quelque part. N’importe où. C’est une injonction céleste : il faut que je m’en aille. Tout de suite. maintenant.
Avant, c’était toujours loin. De plus en plus loin.
Aujourd’hui, c’est toujours loin. Au moins à la première pensée, au moins au premier réflexe. Puis, j’ajuste mon injonction au champ de mes possibles…
Je n’avais pas le temps, ni l’argent, ni l’alibi, pour aller à Berlin en avril. En revanche, j’avais l’excuse parfaite pour m’échapper plus près pendant un temps plus court : le Marais Poitevin me fait de l’œil depuis quelques temps et c’est l’un de mes décors de roman. En voilà un bon prétexte pour partir (surtout quand on a rendez-vous à Saintes en chemin) et pour lancer de nouveaux récits intempestifs sur cet espace polychrome.
Quant à Berlin, l’un de mes personnages de roman est allemand, il semblerait que j’ai trouvé une nouvelle excuse…
Justine T.Annezo – 12 avril 2024, en transit – GMT+2
* ça a commencé avec Paris en 2006, puis ça a continué avec New-York en 2008, Rio et Tsibilli en 2014, et finalement Berlin en 2019


