Escapade en Verte Venise

VOYAGEUSE INTEMPESTIVE – Ep. 1

Lorsque j’arrive, après bien des escales, contre-temps et détours, à bon port, je suis accueillie par la complainte des grenouilles et le coucher de soleil. Je me réveille le lendemain au concert des oiseaux sur les perles de rosées. C’est la Venise Verte qui me joue le chant des sirènes pour que je m’en vienne, voyageuse intempestive, la fouler de la main et du pied, l’effleurer de l’œil et de la pensée.

Je réponds à son appel, aguerrie et déterminée, afin de m’équiper pour la journée qui commence à Coulon. La barque serait plus vernaculaire mais le vélo est plus indépendant. Je loue donc ma bicyclette, hollandaise il paraît, le cœur léger et en fanfare. Le loueur de vélo a bien essayé de me refourguer son engin électrique sous prétexte que j’apprécierais plus le paysage… Le mec n’est pas au courant que je suis le genre de fille à faire 50 kms à vélos par monts et par vaux pour dire coucou à un dolmen irlandais ! Sur un vélo trop grand pour moi et qui changeait pas les vitesses qui plus est ! Alors son machin hollandais avec sept vitesses au compteur, une béquille et un porte bagage, c’est le grand luxe ! Mais c’est surtout que le mec m’a confondue avec sa clientèle habituelle si j’en crois les vitrines de son magasin qui arbore des tee-shirts « 100% retraité 100% débordé », je me sens un peu hors sujet tout d’un coup !

Mais je n’en tiens pas rigueur, ni au Marais, ni au loueur de vélo, et j’enfourche mon destrier bleu pour découvrir pleinement ces nouveaux mondes fugaces.

Je longe, sur les chemins plus ou moins blancs, les champs immergés bordés ça et là d’allées de peupliers entrecroisés de frênes. J’observe d’un œil documentaire chaque recoin de chaque paysage pour en faire un périple réaliste, pour en faire un roman de voyage. Au sens propre comme au sens figuré. Je me laisse arrêter par chaque tableau vivant. Un troupeau de hérons garde-bœuf qui surveille les troncs d’arbre faute de bétail. Je me laisse émouvoir par chaque œuvre de la nature. Une allée de statues en frêne, étêtées et manchotes, comme les statues de marbre du Colisée à Rome, mais écorchées à coup d’écorces celles-ci. Je me laisse bercer par chaque surprise du vent ensoleillé. Des forêts de peupliers qui murmurent entre eux à l’orée de la canopée.

Je file comme la fille de l’air le long de l’eau verte, elle-même en route vers l’océan par de multiples canaux, briefs, rigoles, conches et écluseaux.

Le bruit des oiseaux et des grenouilles emplit l’espace d’une musique familière. Le vert, jusques aux balustrades des passerelles quand elles ne sont pas rouillées, envahit ma vue d’un camaïeu irlandais qui diffère pourtant. Le vert de l’Irlande est plus profond quand celui du Marais, en cette journée éblouissante, est plus clair, presque fluorescent.

Et de Coulon à Arçais, en passant par Le Mazeau, en bifurquant par Le Vanneau-Irleau, en détournant par La Garette, je m’arrête à toutes les guinguettes / terrasses improvisées / coins d’herbe fraîche / berges dépareillées, pour écrire mes idées romancières avant qu’elles n’explosent. De peur qu’elles ne s’échappent. A l’abri des saules pleureurs qui, comme moi, ont séché leurs larmes pour la journée, l’imagination me turlupine… Elle improvise des chapitres entiers pour faire la nique à mon ancienne page blanche. Elle invente de nouveaux articles de voyage pour venger mon immobilisme récent.

Les doux rayons de ce soleil printanier qui culmine quand même à 30° s’invitent parfois à ma table de fortune, alors que quelques barques esseulées, abandonnées peut-être, s’entrechoquent immobiles dans une dernière tentative de partir à la mer.

Et mon escapade suit les flèches de ma boussole intérieure, poursuit la course du Soleil vers l’Ouest, entre terre et mer, quand soudain mon voyage fait une embardée. Pour continuer ma « route », il me faut prendre la barque à chaîne*, mais celle-ci est dite fermée par Google Map, mais celle-ci prend légèrement l’eau sous mes yeux. En d’autres temps, je serais montée, avide de me prouver à moi-même que j’étais aventureuse, mais pas aujourd’hui… Aujourd’hui, j’ai loué un vélo à ma taille, je suis escortée par le GPS de mon circuit électronique : je sais exactement où je suis et où je vais, et je n’ai rien à prouver à personne, surtout pas à moi-même ! Je ne prends donc pas le risque de monter sur une barque qui prend l’eau parce qu’elle aurait le fond percé. Rien ne prouve ma théorie, mais rien ne me prouve le contraire non plus…

Je rebrousse chemin sans y voir un signe du destin, l’aventure continue malgré le soleil printanier qui culmine quand même à 30° et qui me rougit bien les bras et les joues. Evidemment, je n’ai pas prévu la crème solaire : je partais au Nord de Toulouse, donc au Nord tout court, nul besoin d’écran total. Ben voilà, bim ! premier coup de soleil de la saison !

Les kilomètres s’égrainent au fil des heures et, si je suis tout à fait honnête, commencent à se faire sentir sur le fessier (en d’autres termes : j’ai mal au cul !).

Le plaisir des chemins de traverse en terre blanche allonge heureusement l’aventure. La solitude des canaux dans lesquels s’alanguissent des bras d’algues inventent de nouveaux rêves. Le funambulisme des passerelles en bois créent des ponts à la place des murs. La loutre indolente me montre le chemin aux effluves de bois mouillé et de fleurs.

Puis, il y a moi sur un ponton, au bord d’une grenouille, ou bien est-ce la grenouille au bord du ponton et moi qui surplombe… La journée s’achève presque, le vélo est rangé, la peau est tannée, les jambes sont cannées. Je quête une dernière fraîcheur ombrageuse sur les berges trop peuplées de la Sèvre Niortaise. Je n’ai pas croisé une seule lentille verte, mauvaise pour la flore aquatique mais synonyme de tourisme : c’est tout moi, je suis tellement curieuse des petits coins reculés, friande des chemins de traverses, passionnée des espaces vides, séduite par l’idée de faire pas comme tout le monde, que j’en oublie l’image d’Epinal et que je serais bien capable de visiter Paris sans la Tour Eiffel, ou bien l’Irlande sans les Cliffs of Moher.

Ou encore le Marais Poitevin sans monter dans une barque !

Justine T.Annezo – 13-14 avril 2024, Marais Poitevin – GMT+2

* Le Marais Poitevin est parsemé de quelques barques attachées à chaque rive par une chaîne : celle-ci remplacent les ponts et permettent aux voyageurs et aux voyageuses de passer d’une rive à l’autre à dos de barque et en tirant sur la chaîne pour atteindre la rive souhaitée.


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