Je n’ai pas oublié

VOYAGEUSE INTEMPESTIVE – PLAN AMERICAIN #5

Hatcher pass AK

« Merci » « au-revoir », voici les derniers mots français que je prononce à la descente de l’avion, avant de basculer vers une autre version, anglophone, de moi-même. Mon discours est incertain mais déjà ma pensée se remodèle. Un sentiment agréable et oublié d’être cette autre moi m’étreint.

Je ne sais pourtant plus vraiment quel jour nous sommes ni sur quel fuseau horaire je dois fonctionner…

Ce que je sais, c’est l’endroit où je suis.

J’avais oublié combien l’Alaska était belle. Ou plutôt combien elle était belle immédiatement. Dès l’atterrissage. Alors que l’on pas totalement sûr si l’on est sur l’eau sur la terre tant la surface entre les deux est parfaitement plane. Mais, suivant scrupuleusement les recommandations de son emblème floral le « forget me not« , je n’ai pas oublié ce qui la rend si belle. Les montagnes plongent dans les eaux. Les forêts de conifères hachurent le ciel et la terre. C’est si impressionnant, impensable d’une certaine façon. Et c’est probablement ce qui rend l’Alaska gigantesquement belle et m’en fait tomber amoureuse une nouvelle fois.

Ce que je sais, c’est que je retrouve mon amie Hannah comme si ne nous étions jamais quittées. Comme si ça ne faisait pas 5 ans et quelques rides au coin des yeux que nous ne nous étions pas vues.

Les premiers jours sont pluvieux mais le Soleil s’invite peu à peu et avec lui les premières balades.

Lire mes premières aventures en Alaska

Palmer hay flat

A Palmer Hay Flat State Game Refuge, je prends le monde de haut, retrouvant les paysages si représentatifs de l’Alaska. Un espace vide à portée de vue, dont les herbes hautes et dorées recouvrent d’invisibles marécages – que j’aurais envie d’appeler de toundra – qui courent vers une chaîne de montagnes qui s’élèvent vers le ciel pour en révéler la couleur. Et au milieu serpente mollement une rivière, grise comme la glaise.

A Hartcher Pass, je pense à l’Écosse devant les montagnes brutales, peut-être d’anciens volcans, qui s’entrechoquent pour laisser place à quelques chemin et rivière. Mais je reconnais le Nord de l’Amérique aux couleurs si particulières de ses rivières d’un bleu presque blanc, d’un brun presque gris. Je me demande si c’est possible de faire une overdose de beauté tant le panorama est beau, sublimé par le mouvement des nuages dont les ombres dansent entre les arbres.

Le long de Martanuska River, je me délecte de la beauté de l’inconnu, du plaisir de retrouver le tracé si spécial des rivières nord américaines, du prestige des sommets éternellement enneigés. Je prends la route seule comme au bon vieux temps, le moteur vrombit au contact de la joie de cette excursion en solo.

Entre les lacs de la Matanuska Valley, le jour le plus ensoleillé de mon sejour jusqu’à présent, les paysages alaskiens jouent a cache cache. Un nouveau pic se révèle chaque jour à l’horizon alors que les nuages s’évaporent ouvrant le ciel et la terre vers de nouvelles surprises ; pourtant, serpentant entre les differents lacs, l’Alaska me reste opaque. Seuls quelques morceaux choisis du panorama se dévoilent, impossible de distinguer les contours de chaque lac. J’en devine peut-être les couleurs mais jamais la profondeur.

Alors que le bruit des avions si typiquement alaskiens me survole, je me demande si le seul moyen de voir toutes les nuances de l’Alaska est de la voir du ciel, mais alors rien ne serait palpable, je ne connaitrais pas la sensation des marécages sous les Palmer Hay flat, je ne saurais pas la texture de la rivière, tous ces petits details qui rendent l’Alaska concrète.

Et alors que je vagabonde entre les lacs introuvables, j’aime la sentir sous mes pieds. Je suis heureuse de la découvrir verte et en mode prairie estivale.

shadow

Et pas après pas, emplie de ces nouvelles découvertes qui ont le goût de celles d’il y a 6 ans, je comprends qui je suis. Je réalise qui j’étais. Tous mes voyages se sont joués alors que j’étais perdue. Sauf peut-être l’Irlande. La première fois. Puisque c’est elle qui m’a décomposée. Après elle, la vie que j’avais toujours menée n’avait plus vraiment de sens et je partais en voyage comme on part en pèlerinage : en quête du sens de la vie, de ma vie. Puis, un jour, arrêt sur image. Comme l’entièreté de la planète, j’ai fait du surplace. Et c’est très bien car j’avais beau chercher tout autour de la Terre, j’étais toujours perdue. Je cherchais ma place dans le macrocosme alors que le micro était déjà incertain – le micro étant mon monde intérieur. Aujourd’hui encore, mon microcosme est en sacré bazar par endroit, mais je ne cherche plus des réponses vaines dans le macro. Ma place change à chaque seconde, ou au moins à chaque fois que je me mets en mouvement ; ainsi, ma place sur terre c’est l’endroit où je suis à l’instant où je suis.

Et faire ce voyage, alors que je ne suis plus en quête de ma boussole intérieure, ça change toute l’expérience. Je ne me sens plus à bout de souffle, je suis heureuse ici et maintenant en compagnie de mon amie manquée que je n’ai pas oubliée.

hannah summit lake

Découvrir le portrait d’Hannah que j’ai écrit après notre rencontre

Justine T.Annezo – du 31 juillet au 7 août 2025, Wasilla (AK) – GTM-8


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