La Ville Belle

Le meurtre de David Rizzio, William Allan (National Gallery of Scotland)

Le voyage touche à sa fin et je me sens soulagée de bientôt trouver repos dans mon foyer. J’ai hâte de replonger dans la bulle protectrice de mes draps blancs. Le temps s’étire depuis quelques jours et je ne m’émerveille plus de rien. Ce temps allongé de voyage me donne l’impression d’être de plus en plus loin de lui quand nous sommes pourtant déjà à des années lumières l’un de l’autre. Je n’ai plus l’énergie d’être là. Mary m’a abandonné et ma force de vie avec elle. Je suis à court de mots, à court de rêve, mes pages de voyages ne s’emplissent même plus ni d’aventures.
Je contemple les rives de la Clyde qui brillent dans le soleil gris du soir couchant, et mon regard est vide. J’admire la gare victorienne aux vitres levées vers le ciel, et mon cœur est las. Je visite la plus vieille maison de Glasgow, et mon corps est absent. La légende raconte d’ailleurs que c’est là que Mary Stuart est venue chercher son mari malade, pour le ramener à Hollyrood où il est assassiné.
Il est l’heure de rentrer à présent. Je croiserai peut-être Mary en sens inverse. Mary en deuil blanc sur son bateau, qui dit adieu à la France, les yeux rivés sur son passé joyeux de reine insouciante. « Adieu donc, ma chère France, je ne vous verrai jamais plus. Adieu France ! Adieu mes beaux jours. » Nos âmes s’étreignent peut-être une dernière fois alors que je regarde moi-même en arrière la peine que je voudrais laisser sur la terre écossaise.
Que retiendrai-je de tout cela ? La sensation vivifiante du vent sur mon visage chaque jour ? L’espérance vaincue que ce voyage serait un tremplin vers le futur ? Ma première douche écossaise violente et bienvenue aux abords des Cuillin Hills ? L’interminable marche du Ben Ledi au cours de ma journée particulière ? La majesté de la cité où l’on croit ? Le noir d’Inverness ? Glencoe manqué mais imprimé dans mes yeux à jamais ? Ou bien l’unique et terrible pensée de ce deuil obligé et cruel ?
Je m’en vais et j’ai l’impression de m’être manquée, d’avoir triché avec mon destin. Je comprends pourtant que c’était un passage obligé, une belle découverte au diapason des besoins de mon âme estropiée. Je voulais que ce soit mon premier pas vers la joie mais comment aurais-je pu quand je n’ai pas réellement pris le temps de vivre ma douleur ? J’ai pris la vie dans le désordre. Je me suis exilée de la France pour donner l’illusion de la joie à un anniversaire endeuillé ; cependant, la douleur du 3 août était impossible à fuir. J’ai boudé l’Irlande et lui ai préféré l’âme tourmentée des Scotts pour me donner l’impression de la marche avant alors que l’Ecosse est une extension de l’Irlande dans l’histoire de ma vie…
Le vent de l’Ecosse a heureusement laissé libre cours à ma tristesse et c’était ce qu’il me fallait pour me retrouver. L’Ecosse est sombre, propice à la dépression, et c’est pour ça que je l’ai choisie. Je n’ai pas regagné ma joie car il n’est pas encore temps, pourtant l’Ecosse m’a permis de regarder ma peine dans les yeux et de la reconnaître comme partie de moi-même. L’Ecosse est à mon image au présent, c’est là qu’il fallait que je sois pour lentement accepter la fin qui pourrait être mon commencement.

Justine T.Annezo – AOÛT 2018


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