L’air du vent

Le temps s’étire, il galope d’un morceau de Pacifique à l’autre et c’est déjà l’heure de l’Etat des Castors. Après la Californie, nous allons au Nord. Enfin au Sud. Enfin à l’Ouest. Au nord de la Californie mais au sud de l’Etat de Washington mais toujours à l’ouest des Etats-Unis. Donc logique, nous partons à l’Est. Et cette fois-ci, nous prenons la voiture, nous prenons tente et duvets et partons découvrir une autre aventure, une autre nature. Nous prenons la route des vins, nous longeons la réserve Indienne de Yakima, nous passons la barrière des montagnes et l’Etat toujours vert se fait jaune ardent, se fait terre aride. Nous traversons les pins et les roches de Snoqualmie et c’est le plat pays, et c’est le désert. L’air du Pacifique n’y souffle jamais, les pluies éternelles l’éclaboussent parfois. Nous roulons sur des dizaines de miles sans rien, pas une maison, pas un arbre, pas un pré, pas un humain, pas un vivant. Mais parfois, au milieu de cette sécheresse, perce l’un des volcans neigés de blanc de la chaîne des Cascade. Venu de nulle part. 
Nous nous arrêtons boire un verre de vin ou deux – ou même cinq puisqu’il faut tous les goûter quand on déguste – et nous repartons, nous descendons, nous allons vers le Sud. La Terre vue du hublot de l’avion, c’était magnifique, remplie de couleurs, c’était un autre voyage. La Terre vue de la vitre de l’automobile, c’est tout aussi beau. Plus précis. Plus lent. Plus grand. C’est comme une grande claque dans mes yeux. Nous partons rencontrer la Columbia River, ses gorges, ses vents et ses montagnes. Et la première vision de cette eau immense et tortueuse reste imprimée dans ma pensée sans que mes mots ne puissent la décrire à la hauteur de sa beauté. C’est simplement magique, c’est un feu d’artifice dans mon cœur, je n’ai pas assez de deux yeux pour m’éblouir. C’est comme si soudain, tout mon univers était au bon endroit, je sens que c’est pour ça que je suis venue, que j’ai traversé l’Atlantique et la moitié de la Terre, pour voir devant mes yeux cette eau bleue venteuse. Je me laisse transportée tout à côté de l’eau, parfois accompagnée par le bruit du klaxon de l’antique train de marchandises, jusqu’à notre campement d’aventuriers au bord d’un ruisseau. Nous ne voyons pas le soleil se coucher sur l’eau car il nous aveugle dans son miroir de poissons, mais nous suivons sa trajectoire le long des gorges. Nous sommes intemporels. Nous sommes ici et maintenant et les millénaires nous contemplent. Incroyablement.
Nous nous réveillons le dos fatigué et nous préparons pour l’aventure. Nous marchons petit à petit, facilement, afin de retrouver les vieux réflexes, auprès des Wahclella Falls. Je me sens gonfler d’émerveillement, comme la veille, comme il y a un an en Irlande : les couleurs, l’immensité, les brises, les monts et les vaux de la nature me retournent le cœur. C’est jaune, c’est vert, c’est mouillé, c’est rocheux, c’est terreux, c’est arbreux. C’est cela qui m’appelait vers l’Amérique : les Grands Espaces. Nous repassons la frontière de la rivière et prenons de la hauteur pour admirer le monde vu du ciel. Nous sommes au sommet des Wind Mountains. Nous sommes sur des montagnes sacrées, un lieu de quête initiatique pour rencontrer les esprits dans la tradition amérindienne. Je me demande si certains viennent encore aujourd’hui, retrouver leurs ancêtres perdus, leurs traditions volées, en haut de la montagne venteuse. Nous regardons la rivière s’écouler entre quelques monts presque jusqu’à Portland, même si tout devient flou auprès de l’horizon.
Nous goûtons une toute autre eau après nos randonnées, plus rouge et plus corsée, qui vient trouver sa richesse dans les vignes de la Columbia Valley. Mes papilles de Française se régalent. Les vins de Washington et d’Oregon sont, à mon sens, éclipsés à tort par les vins californiens : j’ai goûté un échantillon de chaque et mon cœur balance au nord. Puis, après plus de vin qu’il n’en faudrait, alors que le soleil n’est pas encore couché, nous allons retrouver Morphée : nos yeux sont aveugles d’être émerveillés, nos jambes sont sciées de nous voyager.

Août 2017

Si cet article vous a plu, je vous invite à lire l’intégralité de mes carnets de voyage américains

Espaces


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