Il était une fois : l’Islande…

Il était une fois les origines du monde. Il était une fois Pangée. Il était une fois un immense tremblement de terre, une éruption massive, tout une série de rifts ; il était une fois la déchirure de notre monde. Il était une fois la dérive des continents. Il était une fois l’Islande, qui porte en elle le dernier morceau réuni de nos plaques tectoniques ; elle renferme l’Amérique au Nord-Ouest, elle accueille l’Eurasie à l’Est, elle est une petite pièce de terre abandonnée en son cœur.

L’Islande fut la dernière partie de planète à avoir été habitée par les humains. Jusqu’à l’arrivée des Vikings à la fin du IXème siècle, il n’y avait rien. Les Islandais, comme les Irlandais, ont leur propre Livre des Invasions, le Landnamabok, et ils ont inventé le récit de leur Nation, l’Islendingabok (Le Livre des Islandais), pour se raconter les origines de leur monde ; Ari le Sage y a écrit leurs légendes avec véracité et au gré de son imagination. Selon lui, lorsque que les guerriers scandinaves débarquèrent sur cette terre volcanique, les papar, des moines irlandais, priaient déjà leur nouveau Dieu Chrétien. Ari avait raison mais il emboucana sa chronologie car il n’y avait rien que des volcans, des sources chaudes, des petites forêts de bouleaux à ciel bas et de vastes prairies lorsque les Vikings, dont le chef officiel aurait été Ingólfr Arnarson, accostèrent avec leurs bêtes sur cette terre désertée de toute forme de vie. Les moines irlandais ont bien rejoint le Nord du Monde un jour, mais ce fut plus tard, bien plus tard… Peut-être lorsqu’ils tentaient, après que leurs monastères aient été pillés, de trouver refuge sur une terre encore plus inhospitalière que la leur ?
Les premières peuplades n’avaient pas de roi, elles répondaient à leurs chefs locals et païens, les Godar, qui s’organisaient en Parlement National : le Commonwealth. On entremêlait alors les cultures nordiques – on adopta la langue des conquérants, Norraena – et celtiques – les Vikings avaient déjà fait halte en Irlande et copié une partie de leur coutumes celtes –, mais l’on communiait uniquement avec les dieux Vikings : Odin, Thor, Freyr, Frigg, Freya, etc… D’après cette ancienne religion, les guerriers qui mourraient au combat rejoignaient Odin dans son grand hall, Valhalla ; et ceux qui mourraient dans leurs lits devaient se contenter du repos éternel avec Hel, la Déesse de la Mort. Pour accompagner le voyage de chacun vers son éternité, on enterrait poétiquement les hommes avec un bateau ou un cheval. Les femmes, quant à elles, erraient probablement dans les limbes puisqu’il n’est jamais fait mention de leur paradis particulier.
Et l’on se raconta des histoires d’Elfes et de Trolls qui se cachaient dans les volcans, parfois figés à jamais dans la roche endormie car surpris en plein conciliabule à la fin de la grande nuit de l’hiver par le soleil d’été.

Puis, le Christianisme, peut-être par le prêche irlandais, trouva petit à petit son chemin dans les âmes islandaises. Les deux religions cohabitèrent pendant un temps, jusqu’à ce que la conversion complète se fasse en douceur et pacifiquement en l’an 1000, par décision du gouvernement, même si le paganisme était toujours autorisé dans le cercle privé. Ce fut alors un grand bouleversement pour l’île : les localités abritèrent bientôt un tout nouvel édifice dont les croix s’élevaient vers le ciel, qui représentait ainsi le pouvoir du Godar local. La cloche de l’église sonnait l’heure du travail ; dans les églises elles-mêmes, des images d’un autre monde s’étalaient sur les murs, on célébrait la messe dans une langue étrange et l’on chantait de drôles de chansons, on découvrait le goût du sang et du corps du Christ pour expier ce qui était devenu pécher.

L’Etat Libre d’Islande se développa grâce au travail de la terre et à l’élevage de bétail. Le Pays des Glaces fut le point de départ de nombreuses expéditions pour découvrir le monde : les Vikings d’Islande furent ainsi les premiers à découvrir l’Amérique, cinq cents ans avant Christophe Colomb. La Nation rencontra ses premières guerres, le XIIIème siècle fut en effet un centenaire de luttes qui bouleversa profondément le paysage historique islandais. Les chefs locaux, dont le pouvoir ne s’étendait non plus à des villages mais à des régions entières, aspiraient à toujours plus de richesses et se disputèrent la terre islandaise à coups de hache, de flèches et de pierres. C’est alors que les premières sagas s’écrivirent pour dépeindre l’Age de Sturlungs, considérées aujourd’hui comme des classiques de la vieille littérature, faisant des Islandais les plus fidèles apôtres des légendes nordiques.
Ce fut la Norvège qui mit fin à ce bain de sang, marquant par conséquent la fin de l’indépendance islandaise. Le Roi norvégien convoitait de nouvelles terres, le peuple islandais voulait la paix, et l’on signa le Vieux Pacte (1262-64) par lequel l’Islande prêtait allégeance au roi scandinave. Un nouveau code civil ainsi qu’un nouveau système de gouvernement s’instaura, et la pêche devint le principal moyen de subsistance, même si l’élevage d’animaux restait l’activité préférée des Islandais.

A la fin du XIVème, parce que les deux familles royales du Danemark et de la Norvège s’unirent, la Couronne Norvégienne fut absorbée par la Couronne Danoise ; par conséquent, le roi du Danemark régna aussi sur l’Islande. Cependant, le XVème siècle se reconnaissait plus anglais que danois tant la présence de pêcheurs anglais (et aussi allemands) plaça le pouvoir non pas aux mains du roi, mais entre celles de ceux qui savaient exploiter la principale richesse du pays : le poisson.
Le XVème siècle, c’est aussi le temps de la Mort Noire, la peste décima le pays à l’entrée et à la sortie de ce nouveau centenaire et les amulettes demandant à Dieu de les sauver ne furent jamais suffisantes à protéger la population.

Lorsque le roi danois se convertit au luthéranisme au XVIème siècle, il entendit bien-sûr convertir, avec lui et de force, tous les territoires qu’il avait sous son joug. La violente réforme ensanglanta l’Islande et détruisit tous les monastères catholiques, le carnage ne pris fin qu’avec l’interdiction formelle du catholicisme sur l’île et la décapitation du dernier évêque catholique, Jon Arason, le 7 novembre 1550 à Skalholt. Ce massacre religieux acheva le Moyen-Âge islandais et accrut le pouvoir de la Couronne Danoise puisque tous les biens jusque-là catholiques, tombèrent dans les caisses gourmandes du roi. Et l’Islande connût peu à peu les bienfaits du progrès même si les habitants, rognés dans leur liberté, n’en savouraient pas véritablement les conséquences. On leur fit craindre Dieu et la vie de douleurs qu’ils pourraient connaître après la mort s’ils tentaient de se rebeller contre cet état de fait.
L’hégémonie danoise ne cessa d’empirer : la couronne s’octroya un monopole sur le commerce, avec une préférence pour la poissonnerie, en 1600, ce qui empêcha le développement d’une classe marchande sur le territoire. On sous-estimait la valeur de la poiscaille, on surévaluait le prix des produits de la terre (les rendant parfois inexportables) maintenant la population dans un état de pauvreté extrême. En 1662, pour bien établir cet état de domination criante, le peuple dut reconnaître le pouvoir absolu du roi. Heureusement, les pouvoirs officiaux étaient toujours entre les mains de la population autochtone si bien que les Islandais avaient l’impression d’être gouvernés par des Islandais.

Le XVIIIème siècle correspond, sur le reste du continent européen, à l’aube de la révolution industrielle, avec tous les frémissements de progrès que cela engendra. Ce fut une autre histoire qui se dessina en Islande. Si la Couronne Danoise investit dans la production de laine de l’île, si la capitale commença à se développer et si le pays fit ses premiers pas dans le monde moderne, cela ne fut pas suffisant pour contre-balancer la tragédie humaine que connaîtrait la Nation. Les épidémies et les famines ne laissèrent aucun répit à ce Siècle Meurtrier et une grande partie de la population périt, notamment du fait de la Famine de la Brume (1783-85) qui bouleverserait aussi à jamais le visage politique de l’Europe toute entière. En 1783, le volcan Laki érupte provoquant la plus grande catastrophe naturelle que l’Islande a connu, la Móðuharðindin. Une partie de l’île fut noyée sous la lave, les cendres volcaniques contaminèrent les pâturages, le bétail mourut intoxiqué, la population agonisait ou s’exilait. Et les brouillards volcaniques ne connaissent pas de frontières, le nuage sulfuré suffoqua donc aussi le continent européen pendant des semaines, si épais que le soleil était en sang, si épais que les pays furent plongés dans une quasi-nuit pendant un temps. En Europe aussi, les peuples mourraient. Et les hivers qui suivirent furent terriblement rudes de par le monde, appauvrissant les récoltes et les âmes, et livrant bientôt les monarchies aux révolutions que l’on connaît. Le volcan Laki changeât le cours de l’histoire. L’île abandonnée au plus près des pôles délivra le monde de la férule des rois.

Le XIXème siècle islandais s’avança doucement et paisiblement vers l’Indépendance. L’idée de la Nation émergea dans l’esprit islandais, la population sous règne étranger depuis six siècles commença à se regarder comme une entité différente de celle du Danemark, les Islandais agitèrent le drapeau de l’auto-déterminisme des mêmes bleus et blancs que leur environnement. L’identité islandaise se définit petit à petit, l’islandais fut valorisé, on immortalisa la beauté de de cette île glacée par la poésie et la peinture, et des artistes comme Ásgríms Jónsson firent comprendre au peuple que les roches alentour n’étaient pas seulement des obstacles à leur expansion, elles étaient aussi et surtout porteuses des origines du monde et d’une beauté incommensurable.
En 1848, une vague révolutionnaire scandait son chant libertaire sur toute l’Europe et le vent du Nord ne fut pas suffisamment puissant pour le pousser au-dehors de l’Islande. Le roi du Danemark fut obligé de renoncer à son pouvoir absolu et Jón Sigurðsson, leader du mouvement d’Indépendance, fit montre de virtuosité rhétorique pour défendre l’autonomie de son pays : la population avait, en effet, prêter allégeance au Roi absolu ; cependant, le monarque danois ayant renoncé à son absolutisme, l’Islande n’était plus tenue par son serment et la relation entre les deux pays devait être redéfinie. Les réfractaires danois arguèrent alors des sempiternelles excuses colonisatrices : l’Islande était un fardeau économique pour la Couronne, elle s’était endettée auprès l’Etat et ne pouvait pas clamer son indépendance sans rembourser son dû. Néanmoins, Jon ne se laissa pas amadouer, remettant les pendules à l’heure de qui était endetté auprès de qui : le Danemark, par son monopole, avait fait des profits considérables sur le dos de l’Islande au fil des années ; l’Islande était le prêteur, non pas le payeur.
Ainsi, en 1851, les Islandais demandèrent, par la voix de l’Alpingi, assemblée parallèle crée en 1845, sa propre gouvernance, qui leur fut réfutée par les autorités danoises. Cette « National Convention » fut pourtant décisive sur la question de l’Indépendance, puisque l’Alpingi obtint en 1874 la charge du pouvoir législatif qui conduirait en 1904 à la mise en place d’un Home Rule en Islande.

La dernière bataille se livrera autour de la question du drapeau. L’Islande était toujours tenue d’arborer le drapeau danois au début des années 1910, mais elle lui préférait la croix blanche de ses glaciers sur fond bleu de son ciel, son océan et ses montagnes. Quand ce drapeau illégalement et fièrement amarré sur un bateau au port de Reykjavik en 1913 fut interdit, la population gronda et le gouvernement danois finit par céder : en 1915, l’Islande était fière détentrice de sa croix blanche sur fond bleu à laquelle elle avait accolé le liseré rouge de ses volcans.
Mais l’Indépendance véritable et absolue de l’Islande ne sera finalement actée que le 17 juin 1944, alors que la Seconde Guerre Mondiale livre sa dernière année de combats.


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