Les lamas d’Hannah

Hannah a des rêves simples et extra-ordinaires. Son plus grand de toute une vie, c’était d’avoir un jour des lamas. Ainsi, au lieu de demander un gros caillou pour mettre à son annulaire de femme mariée, elle s’est vue offrir un troupeau de lamas, six et demi pour être exacte. En effet, personne ne le savait mais Hyngi faisait grandir Stormy dans son ventre bien arrondi.
Aujourd’hui, Hannah n’a plus qu’à experimenter son rêve et apprendre à vivre aux côtés de ses animaux tant espérés. Et elle invite des étrangers curieux à accompagner sa passion l’espace d’un jour, le temps d’un automne.

Hannah et son mari Jager m’ont ainsi généreusement partagé leur vie typiquement alaskienne, sollicitant mon aide pour prendre soin des animaux et préparer la propriété pour l’hiver. Certain gens de la ville bien-pensante d’Europe voudrait leur donner des leçons sur leur consommation de viande, leur impact sur la couche d’ozone et tout un tas d’autres idées que tous les intellectuels de gauche – étiquette que certains voudraient certainement me donner si je ne me rebellais pas ardemment contre la labélisation de l’être et l’enfermement de chaque pensée dans une boîte – théorisent depuis leur duplex citadin et leur mode de vie plus trendy que véritablement écologique, alors que le rapport à la nature d’Hannah et Jager est bien plus en harmonie avec notre environnement, avec toute la violence sauvage que cela comporte, que n’importe quel théoricien de l’environnement*. J’accompagne donc, curieuse et fascinée, une vie qui m’est provisoire, qui se raconte comme une aventure mais qui pour eux est un quotidien hasardeux de luttes et réalités aussi concrètes qu’une fosse septique gelée ou bouchée ne laissant d’autre alternative que l’utilisation de toilettes sèches – accessoire indispensable de chaque maison alaskane par -40° sur le spectre de la froidure. Tout ça, c’est pas une photo Instagram avec filtre, c’est leur vie de tous les jours.

Pour ce qui est des animaux dont il me fallait prendre soin, quand j’ai décidé de travailler dans le ranch d’Hannah et Jager, je n’avais que faire des lamas. Je n’avais rien contre eux – mis à part que je n’avais pas particulièrement envie de me faire cracher dessus –, ils m’indifféraient. Après plus d’un mois chez Hannah, elle-même les aime tellement et ils sont des animaux si tendre et faciles**, que je n’ai eu d’autre choix que d’en tomber un peu amoureuse à mon tour… On dit souvent que si l’on veut mieux comprendre un inconnu, nous n’avons qu’à regarder son chien pour le reconnaître. Hannah a des chiens aussi, qu’elle aime profondément ; mais c’est en regardant ses lamas, c’est en l’observant être avec eux que j’ai véritablement rencontré Hannah. Elle rayonne soudainement, elle est tout ce qu’elle ne s’autorise pas toujours à être dans la vie de tous les jours. Elle place toute sa confiance timide et ses peurs indicibles  dans l’amour léger et profond qu’elle leur porte. Quand Hannah est avec ses lamas, elle redevient l’enfant que nous avons tous à l’intérieur de nous. Seules les décorations d’Halloween et de Noël peuvent l’émerveiller à cette même mesure. Pour devenir l’amie d’Hannah, il m’a suffi d’écouter son cœur me parler à travers les pas pressés et curieux de Stormy, à travers l’entêtement revêche d’Izkue, à travers la gourmandise insolente d’Hyngi, à travers l’arrogance indifférente de Bob. Pour devenir l’amie d’Hannah, il m’a suffi de rigoler tendrement des deux culs jumeaux, noirs sur fond blanc, d’Hyngi et Stormy. Pour devenir l’amie d’Hannah, il m’a suffi de donner mon amour sans condition au troupeau qu’elle adore.

King Bob

Et devenant son amie, une autre réalité s’est imposée à moi : notre amitié nous lie, invisible et invincible, depuis plus longtemps que nous. Je me souviendrai toujours du jour où je faisais défiler les différentes opportunités de workaway en Alaska et que je suis tombée sur le sourire franc et gentil d’Hannah : je ne savais pas véritablement pourquoi, mais c’était là-bas que je voulais aller. J’étais appelée. Lorsque je suis arrivée dans la maison sur la crête bleue, lorsque nos conversations ont commencé à se faire amies, j’ai mieux compris… Nos vies sont trop semblables même si elles différent en tout, nos destins sont forcément accrochés quelque part, ils ont quelque chose à se raconter. Les évènements de nos vies se ressemblent, les dates se rejoignent ; et nos cœurs se sont compris, et nos vies se sont confiées, nos silences se sont tus malgré nous, à notre propre surprise, désordonnés et spontanés. Et nous avons admis encore plus intiment, de façon encore plus troublante, que nous étions destinées. Tant nous sommes opposées, tant nous sommes pareilles.
Hannah me touche par sa force sans détour, par son apparente inflexibilité qui cache en fait des questions tonitruantes, des doutes brûlants. Son courage me donne confiance, mon écoute l’apaise. Hannah m’a donné la force de penser à moi et d’enfin choisir mon camp plutôt que celui de l’autre dans l’histoire de ma vie. Mon cœur prisonnier s’est libéré ainsi petit à petit. Elle m’a donné le droit d’être en colère de façon constructive, si telle chose est possible. Elle m’a donné la possibilité de croire à nouveau à une certaine idée du bonheur qui rayonnerait dans ma vie. Sans le savoir, sans le vouloir, elle m’aide encore chaque jour à imaginer le jour prochain dans la joie, à projeter le futur dans le champ des possibles. Avec Hannah, je n’ai pas ressenti pas le même besoin urgent de changer d’air que j’avais depuis le début de mon voyage. Je me suis autorisée à tisser les liens de ma vie entre eux fil après fil et dans la durée dont mon cœur avait besoin.

J’ai exactement trouvé ce dont j’avais besoin dans la maison bleue sur la crête, un nouveau foyer, un endroit propre à la médiation pour requestionner les autoroutes de mon cœur, une amie dont l’âme généreuse accompagnait mes confidences quand j’en avais besoin. Et je ne savais plus comment partir, je ne savais plus si c’était véritablement ce que je voulais même si mon âme avait toujours un cœur d’aventure. Mon départ, il m’a donc fallu le répéter pour pouvoir l’achever. Le premier fut avorté, le deuxième fut un crève-cœur. Ce qui est sûr, c’est que ce ne fut pas un adieu, ce fut un à bientôt impatient !

Hannah et King Bob

* J’entends par théoricien, celui qui parle beaucoup (surtout pour ne rien dire) mais ne met pas beaucoup en pratique ses grandes morales.
** Par exemple, les lamas ne se battent jamais, la plus grande violence qu’ils vous montreront sera de vous cracher dessus ; et si vous voulez dompter un lama, apprenez donc à cracher !

Justine T.Annezo – du 31 août au 7 octobre 2019, Healy – GTM-8

Stormy, Hannah et Charlie

2 réflexions sur “Les lamas d’Hannah

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