Si l’hiver m’était conté…

Grandie de mon expérience à Ruby, je prends l’avantage de ma semaine supplémentaire à Healy, dans la maison sur la crête, dans cet endroit se rapproche le plus d’un foyer aujourd’hui, pour achever toutes mes pensées méditatives et préparer la suite de mon périple, destination Canada. En effet, mes jours sur la dernière frontière avant le cercle arctique touchent à leur fin. Je vais donc bientôt changer de contrée mais pas de langue. Je vais conduire une maison à roulette qui sera éphémèrement mienne le temps de mon Amérique. L’affaire est conclue, l’épiphanie d’un dimanche ensoleillé à Denali est confirmée, je vais acheter l’ancien carrosse d’Hannah pour arpenter ce Nouveau Monde de l’autre côté de l’Atlantique, sur les côtes Pacifiques.
Et préparant mon séjour canadien, je m’interroge plus largement sur ce qui m’attend après. Sur ce que j’ai réellement envie de vivre dans les prochaines semaines. Je voudrais d’abord retourner au rythme plus régulier du travail en hôtel ou auberge. Si j’ai pleinement apprécié l’air de la ferme et la rigueur imprévisible des tâches à accomplir chez Hannah, j’ai besoin de retrouver mon rythme personnel, d’accéder à un peu de solitude complète. Le road-trip qui m’attend est idéal pour mon besoin solitaire. Mon prochain labeur dans une maison d’hôte aux alentours de Jasper (AB) répond à ma première envie. Pour la suite, je sais uniquement que je voudrais partir du côté du Pacifique canadien et passer le Thanksgiving américain quelque part dans les Rocheuses américaines.
Mais avant, je retourne aux lamas auxquels je n’avais pas dit au revoir lors de mon premier départ avorté. Mais avant, je fête (in)dignement les 27 ans d’Hannah le 27 septembre.

Le vent de la crête souffle de la pluie sur la maison bleue. L’air est plus doux et sent moins l’hiver, c’est comme un minuscule été indien. Pauvres vulnérables lapins qui, je l’espère, ne se sont pas précocement fondus dans le blanc éphémère. C’est un regain passager cependant, je goûte bien vite mon premier flocon par une soirée au feu de bois. Les paillettes blanchies de cette première neige alaskienne brillent dans mon âme ludique et émerveillée. En effet, la neige éveille toujours cette même magie intacte et pure dans mon cœur fragile et étincelant.
Je pense cette neige éphémère mais les arbres du matin blanchi prolongent mon rêve d’un autre monde. Cette crête aux arbres changeants est magiquement mienne, magnifiquement porteuse de mes rêves fugaces, de mes attentes sereines de l’Alaska. Et aux dernières heures du soir, le soleil noir achève ce jour de rêve polaire et se reflète si pur dans la neige sans lune, éparse et déjà fondue. Les heures s’entrelacent, tranquilles et blanches, à la mesure de mon cœur certain, de mon âme calme. Je vais. Je suis. J’espère que mes notes toujours fragmentées seront suffisantes à souvenir mes voyages. Je répare le regard oblique que je me porte parfois. Je verse des larmes invisibles qui me nettoient. J’aime qui je suis. J’aime cette maison non plus vraiment éphémère mais stable et durable, cette maison de secours.

Denali sous la neige

Au matin suivant, il y a encore de la neige par endroit et l’éclaircie d’après-midi me permet de réveiller l’altitude de mes jambes randonneuses en route vers le point de vue sur le Mont Healy, mais le point de vue de l’autre côté de Bison Gulch cette fois-ci. C’est curieux de penser que je ne voulais pas vraiment suivre ce sentier, croyant que je ne verrais pas grand-chose de nouveau. Et pourtant, quelle beauté, quelque surprenante majesté ! Je marche dans la neige qui crisse sous mes pas, qui me raconte l’histoire de l’infinité des cieux. Cette promenade les pieds dans le blanc entre les conifères toujours verts est si douce et paisible. Au bout d’un moment, quand la fraîcheur du jour se fait plus douce que la froidure de la nuit, ça commence à faire le bruit de la neige de Bambi, devenu trop molle pour rester accrochée aux branches. Et plus je monte, parfois sous quelques flocons, plus le paysage se révèle entre les brouillards qui s’évaporent à la faveur du soleil déjà froid de l’hiver. C’est si plaisant de sentir la neige s’épaissir sur le chemin vers les hauteurs. Le regard au plus loin de l’horizon et ce moment infiniment suspendu, perché au sommet à apprécier la vue se dégager entre les monts, vaut définitivement la montée. Moment joyeux. Instant précieux. Et alors que le soleil lumine dans la descente, certains gallinacés indomptés font réunion sur le chemin avec leurs plumes en éventail qui s’étale dans leur envolée sauvage, dans leur fuite précipitée.

Paillettes

Puis, ne restent de la neige que quelques flocons parsemés, que quelques morceaux de glace éparse. Le paysage est à nouveau brun et boueux. Ce qui me fait penser au couple canado-australien rencontré dans mon hiver irlandais*, lui me racontait la fonte des neiges en Ontario, combien tout le monde déteste le paysage et toute la neige boueuse laissée derrière l’hiver, mais combien lui l’aimait pour une raison dont je ne me souviens plus. Peut-être parce que cela annonçait le printemps. Le paysage est donc, en ce vendredi, brun comme la pluie.
Au réveil de samedi pourtant, une fine pellicule mi glacée mi enneigée couvre le paysage alentour dans un premier rayon matinal. Le panorama bleu sent magiquement la glace. Puis, il se met à neiger à gros flocons alors que nous achevons de construire la grange qui fut ma première entreprise de fin d’été. Comme l’atmosphère a changé depuis ce weekend de Labor Day où le vent chantait dans les feuilles jaunes ; nous nous réchauffons aujourd’hui, King Bob inclus, au feu de camps extérieur crépitant dans l’odeur des pins. De temps en temps, quelques rayons de lumière transpercent le décor, annulant immédiatement la dernière action enneigée du ciel.
Et pour mon dernier lundi qui se languit de façon presque insupportable, je chevauche la toundra en motoneige, ou presque, agrippée à Hannah. Quelle épopée ! Nous nous retrouvons embourbée entre les pins, parce que la Terre est encore trop chaude et qu’elle fond la neige par le dessous. C’est un dernier moment précieux de rire fou avec Hannah avant non plus de m’envoler mais de rouler.

Premier matin

Ma météo de l’être a pleinement profité de ce rab sur la crête. Je me sens extrêmement sereine dans tout ce que j’entreprends. Mon cœur bat à l’unisson de ce que je découvre, je ne connais pas mon chemin, je ne sais pas où cette vie me mène mais je sais qu’un jour prochain, mon cœur connaîtra sa raison. En attendant, il suit ses contours sur cette terre américaine qui n’appartient plus qu’à moi aujourd’hui. En attendant, je vais. Je connais presque le quoi de mon futur, il se dessine petit à petit, point après point, dans le nuage de mes rêves encore brumeux, sans avoir besoin de savoir le quand. Je me sens toujours très flottante mais cela me convient. Je ne me sens pas le besoin d’être autrement, et même si je voulais à tout prix changer cet état d’âme, je ne le pourrais alors j’apprends à accepter de me sentir ainsi aujourd’hui.
Le départ néanmoins, comme tous les départs de ma vie, amène une certaine vulnérabilité exacerbée dans mon âme. Je retourne à la solitude et je me sens mortellement mélancolique. C’est l’heure dite de la tristesse. C’est la vie qui continue, incertaine et incompréhensible. Je pars tout de même, j’en ai la nécessité ardente même si je ne m’en sens pas véritablement capable. Je m’en vais avec le souvenir au cœur de la neige dominicale qui parsemait les flammes. Je m’en vais avec le souvenir au cœur des derniers baisers rieurs de Stormy. Je m’en vais avec un dernier regard pour la vallée blanche et aveugle. Je m’en vais car partir ne veut plus dire pour toujours, une amie vit maintenant ici. J’ai un refuge quelque part.

A bientôt…

* voir mes récits de voyage irlandais Epilogue

Justine T.Annezo – du 27 septembre au 7 octobre 2019, Healy – GTM-8


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