
Lorsque j’ai frappé à la petite porte en haut des trois (ou peut-être quatre) marches de la petite maison de ville de Marc & Stephanie, mes hôtes à Philadelphie, je fus accueillie par les aboiements furieux de Lola, par l’air hirsute de Marc, par l’absence de Stephanie au téléphone. Pour ma part, j’arrivais une fois de plus avec mon sac à dos en forme de carapace qui donne toujours l’impression que je m’impose. Entrée en fanfare comme qui dirait ! Nous nous faufilions dans les vies les uns des autres comme une bourrasque. Nos destins s’entrechoquaient sans préambule, nous nous adoptions immédiatement.
A peine étais-je douchée que Stephanie – maintenant débarrassée de son oreillette de femme d’affaire – me racontait avec entrain et des paillettes dans les yeux son incroyable journée. Elle sortait d’un stage d’écriture en mode « développement de soi », elle me décrivait avec force détails comment chaque expérience l’avait transmutée ; passant du coq à l’âne avec une telle virtuosité, elle était soudain en train de me raconter son retour du Chili et comment elle avait alors dit à sa mère, des larmes plein la voix : « Pourquoi tu me touches jamais, maman? » Comment en était on arrivé là, je ne m’en souviens plus ! Je suis presque sûre qu’elle n’a pas respiré pendant vingt bonnes minutes jusqu’au moment où elle me lança : « A ton tour! » Prise au dépourvu, mon silence était bruyant. « Pourquoi es-tu ici? » Je lui demandai de préciser de quel « ici » parlait-elle: chez elle ? Philadelphie ? ou bien l’Amérique ? Les trois mon capitaine. C’était une histoire bien trop longue pour trois minutes trente et ceux qui me connaissent savent qu’il me faut souvent plus de préambule pour me raconter. Mais la bonne humeur se Stéphanie était contagieuse et je sus instantanément que venant elle-même de se livrer entièrement, elle n’en accepterait pas moins de moi. Alors, prenant ma respiration, je livrai, à mon tour, tout de moi. Ou au moins de mon voyage. Ma fatigue s’était envolée au contact de ce petit bout de femme qui mène son monde à la baguette.
Rejointes par Marc, nous bûmes après une bière ; notre amitié était scellée. C’est l’une des beautés du couchsurfing, parfois les destins se croisent l’espace d’une seconde sans vraiment se reconnaître et reprennent leur chemin individuel. Mais parfois, magiquement, c’est le début de ramifications ponctuelles et communes sur la toile de nos vies parallèles. Ainsi, nos fil dessinèrent un magnifique soleil en lieu et place de Philadelphie en ce weekend de février. Il ne s’agissait plus uniquement d’un couple d’étrangers qui m’hébergeaient pour la nuit, nous sommes devenus amis.
Sous ses airs un peu sage d’une autre planète, Marc a un petit côté pince sans rire insolent, sa répartie ira toujours là où on ne l’attend pas. On pourrait parfois penser que tout lui glisse comme sur les ailes d’un canard, c’est juste qu’il intériorise beaucoup ce qui le touche. Et soyons honnête, je me demande parfois si c’est par choix ou par nécessité car Stéphanie exprime et ressent pour deux !
Peut-être est-ce son côté homme à lunette, mais quand on l’écoute parler, on se demande s’il y a une chose qu’il ne sait pas. Marc est un être curieux et joyeux, même s’il le cache parfois sous une mine renfrognée. Il est le roi de l’événementiel à Philadelphie, c’est lui qui, en 2016, a créé le festival « Parks on taps » pendant la saison estivale (même Forbes a écrit un article à propos de lui !), le principe est simple : chaque parc de la ville accueille au fil de l’été un « jardin de la bière », proposant de la restauration locale, des bières à la pression, du vin et des boissons alcoolisés. Dans un pays où le souvenir de la prohibition flotte toujours comme un fantôme oppressif, de l’alcool en plein air, ce n’est pas peu dire ! Marc a plus d’un tour dans sa manche, il importe de par le monde des bus anglais à deux étages, des planètes géantes en miniature et tant d’autres trésors dont la seule envie est de faire rayonner un peu plus la ville qu’il a adoptée et qu’il aime tant.
Stephanie, de son côté, ne se résume pas, elle se peint en multi-couleur sur les murs de la ville. Je ne peux ici qu’en partager des extraits, des morceaux choisis. D’ailleurs, elle m’a laissée plusieurs jours sans mot, mon article suspendu plus longtemps que je ne l’aurais voulu… D’ailleurs, je ne sais toujours pas vraiment par où commencer de peur de ne pas savoir lui rendre justice.
Stephanie, c’est un peu comme un feu d’artifice dans ta vie. Elle tombe en pluie de paillettes sur ton chemin rendant chaque minute joyeuse. Elle est exubérante, bavarde, intelligente, impertinente, studieuse, organisée, généreuse, gentille, souriante, altruiste, authentique. Elle est curieuse de tout et de chacun.
Elle a passé quelques temps au Chili et a senti son cœur se briser lorsqu’elle est rentrée chez elle, elle ne s’y sentait plus à la maison. Heureusement, elle ramenait Lola dans ses bagages, comme un souvenir à poil du temps qu’elle avait passé là-bas. Lola, leur adorable chienne, dont je n’oublierai pas de dire quelques mots ici. Lola qui m’a adopté à la grande joie parfois jalouse de Stephanie qui ne voudrait pas perdre une léchouille de son amour.
Depuis son retour du Chili, Stephanie travaille au Musée d’Histoire Naturelle, a repris des études en management, écrit un blog, a rencontré Marc et voyage dès qu’elle peut. Stéphanie ne tient pas en place, elle a besoin d’activités, elle a besoin de parole, elle a besoin de joie.
Finalement, c’est bien cela le mot à retenir pour Stephanie : JOIE. En lettres majuscules, cela va sans dire. Car même lorsque Stephanie perd patience, c’est avec bonne humeur ; il y a toujours un éclat de rire dans son éclat de larme. Sa présence s’auréole d’une pureté précieuse, sans détour ni supercherie, qu’on ne retrouve que chez les enfants, Stephanie vous touche alors jusqu’à l’âme. Comme avec eux, tout est absolument simple avec elle ; elle dit tout ce qui lui passe par la tête (parfois à tes dépends), si bien qu’aucun silence n’a le temps de prendre un double sens. Elle te dit qu’elle est triste elle te dit qu’elle a peur elle te dit qu’elle est heureuse elle te dit qu’elle t’aime beaucoup. Tout est translucide et sans filtre. Que tu sois son amie de toujours ou de passage, Stéphanie te fait le cadeau précieux et rare de l’honnêteté sans malice.
Stéphanie a un grand cœur qu’elle partage sans parcimonie, avec enthousiasme et allégresse, faisant d’elle une hôte merveilleuse, une rencontre incroyable et une amie pour la vie.
C’est pourquoi, égaillée par Marc & Stephanie, mes deux joyeux et généreux lurons, ce qui commença comme un dépannage d’une seule nuit, se transforma en un séjour de plusieurs jours. En hôtes prévenants, ils me firent découvrir leur version de la ville qu’ils ont appris à aimer ; déjà conquise par leurs âmes ludiques et philanthropes, je tombai amoureuse de Philadelphie à mon tour. Vivant dans la partie sud de la ville, ils m’ont donné accès au vrai visage organique et vivant de la ville, en contraste bienvenu avec le centre un peu trop propre et historique. Grâce à Marc et Stephanie, je me suis fondue dans la vraie vie philadelphienne avec délectation.
Alors si vous êtes dans les parages, je ne peux que vous conseiller de faire une halte à Philadelphie – ne tenez pas compte de tous les mauvais coucheurs de la côte Est qui la méprisent, ils ne savent pas de quoi ils parlent ! – et je vous confie à la bonne garde de mes amis, ils vous remplieront le cœur de rires et de joie. Ils seront à l’image de cette ville humble et aimante, ils vous aimeront en retour !
Go baby, go!

Justine T.Annezo – 8-12 Fev. 2020, Philadelphie – GMT-5
PS : Je suis désolée pour ce nouveau titre d’article en anglais mais ce « concept » répété en boucle par René (le propriétaire du café où nous avons passé notre première soirée ensemble, cf « It’s always sunny in Philadelphia« ) est absolument intraduisible en français…