« J’écris pour être lue » – MANIFESTE POUR UN DIMANCHE DORÉ

Peut-être qu’il s’agit d’une déformation professionnelle : « Il n’y a pas de théâtre sans spectateur » ; toujours est-il que j’écris convaincue qu' »il n’y a pas d’écriture sans lecteur ».
Certains écrivent pour la beauté du geste, pour la joie que cela fait pétiller, pour la créativité que cela réveille en eux, pour l’apaisement que cela leur procure. Ils écrivent de façon détachée.
Pas moi.
Comme à peu près tout ce que je fais dans ma vie, je suis incapable d’écrire de façon détachée. J’écris pour être lue.
J’écris pour être reconnue.
J’écris pour être vécue !
J’écris la vie que j’aimerais avoir vécue…?
Et c’est cela qui me paralyse. Certainement. J’écris ces bribes de vie. J’écris ces morceaux de moi. Pour les faire exister autrement. Pour réécrire l’histoire. Pour transcender ce que je n’aurais pas vécu comme je le voudrais. Ca c’est facile. Cela ne demande pas d’imagination. Juste une paire de lunettes et un clavier.
Ecrire en dehors de moi. Ecrire une histoire. Ecrire un roman. En revanche. C’est une autre histoire justement. Alors je bloque. Je me raconte des histoires que je n’écris pas. Je me laisse fulgurer par des illuminations que je ne couche jamais sur le papier. Je me perds en détours, soit disant indispensables, plutôt que de faire ce que j’ai réellement envie de faire.
Ecrire. Inventer. Laisser mes mots courir sur le clavier. En quête de sens. En quête de personnages. En quête de voyages. Imaginer. Sans contrainte et sans limite. Sans peur et sans reproche.
Je fuis mon havre d’écriture.
Parce que je pète de trouille.
De ne pas arriver à mettre les bons mots sur les bonnes histoires.
Que le récit que j’imagine ne vaille pas le coup d’être écrit. D’être lu.
D’être passée à côté de mon inspiration depuis bien longtemps.
Ainsi depuis 6 mois, je passe ma vie à faire des réunions avec moi-même pour m’ausculter. Pour vérifier ce qui palpite encore dans mon envie. Pour mettre au point ma stratégie. Pour valider que les « i » brandissent toujours leur point et que les « o » ont bien mis leur chapeau. Pour remplir le vide si vous voulez mon avis.
Et en attendant, l’idée a filé. Le train est parti. L’histoire est terminée.
Je passe à côté de mon roman.
Un peu comme je passe à côté de ma vie finalement. Passagère clandestine d’un monde que je ne comprends pas, auquel je n’appartiens pas.
Et en attendant, je laisse fuser les mille questions sur le comment du pourquoi. Sur les intentions que l’on pose en toutes choses. Est-ce que j’écris pour les bonnes ou les mauvaises raisons ? Est-ce que j’écris comme une formule magique mettant un filtre Instagram sur tous les instants de ma vie afin d’effacer les déceptions ? Est-ce que j’écris la vie que je ne vivrais jamais afin d’éviter les dépressions ?
Et en attendant, j’ai le symptôme de la page blanche. Comme j’ai le symptôme de la vie blanche. Je me prends des coups de poings au lieu de me prendre des coups de génie.
Les pages s’emplissent de répétitions. Les carnets s’empilent de non-sens. J’écris pour oublier. Ou j’oublie pour ne pas écrire.
Cette semaine, je me suis trouvée face à cette personne qui écrit pour la beauté du geste. Le cœur exalté. Les yeux qui pétillent. L’inspiration flamboyante. Cette semaine, je me suis trouvée face à cette personne que je voudrais être. Le cœur en mouvement. Les yeux qui chavirent. L’inspiration qui transpire. Je suis restée médusée à la place. Par tant de vie. Par tant de joie. Par tant d’envies. Par tant de candeur. Par cette compétence émerveillée de brandir son stylo sans se poser plus de question que « ça me fait frémir ».
Elle était belle et j’étais terrassée.
Parce que j’écris pour être lue et donc je n’écris plus.
Justine T.Annezo – 29 janvier 2023 – GTM+2