
Au lever du matin, je découvre le décor alentour et grandiose de mes dix prochains jours. Je regarde les montagnes de ce ranch qui ressemble au Montana, qui ressemble à l’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux. La maison d’hôte du Chat Noir*. Il n’y a pas à dire, un nom comme ça, ça ne s’invente pas ! L’endroit est fait pour accueillir mon cœur et mes écrits en retard, mon chat noir manque définitivement pour compléter ce tableau magnifique qui s’étire avec le soleil du matin alors que je m’approprie mes tâches travailleuses.
L’après-midi lumine sur les hauteurs du mont Solomon voisin. Le paysage automnal vient soudain gracilement trancher avec mon hiver précoce. La vue est d’une simplicité époustouflante et mon corps ne défaille plus de la randonnée. Les lacs miroitent et se colorent à l’horizon. Je sens l’autre versant, celui de Jasper, qui m’appelle. Bientôt. Dans quelques jours.
Et pour mieux me souhaiter la bienvenue, une retraite d’écrivain se tient entre ces murs boisés pour mes premières journées dépaysées. Quel joyeux clin d’œil qui me permet d’une fois encore élancer ma créativité au crayon à papier ! Les seules escapes qui occupent mon weekend sont celles de mes mots gris sur mon carnet. Je me détache de certains écrits de voyage afin d’inventer les nouveaux romans d’aventures qui attendent patiemment le bon moment pour se jeter de façon plus consistante sur le papier de mes idées, afin de fleurir l’histoire de mille vies que je m’écris fragmentairement dans la tête à chaque randonnée, qui m’a tenue en haleine sur Auriol Trail. Je me sens un élan créatif qui voudrait prendre des vacances avec mes récits de voyage pour retourner à la fiction, mais je sens qu’il n’est pas encore temps.
Je réalise alors soudain la sérendipité de mon présent : c’est au Canada que j’ai réalisé que je voulais écrire et mon premier véritable arrêt canadien se fait entourés d’auteures en devenir ou devenues… Je me dis ainsi que le Canada l’année dernière**, c’était peut-être la bonne idée, mais pas le bon moment… Je pense à ce Nouveau Monde qui m’appelle toujours plus à l’Ouest, je me questionne sur les mémoires de la terre d’ici, sur les forces telluriques et mystiques qui me transpercent aussi profondément qu’en Irlande. Les peuples d’ici, comme ceux de l’Irlande, ont gardé plus longtemps une autre spiritualité, plus libre et mystérieuse, que le monothéisme européen. Cette énergie, ajoutée à celle de tous ces gens arrivés du bout du monde, fuyant leur ancienne vie pour se construire un Nouveau monde, a crée une atmosphère particulière. Ces deux mémoires auraient-elles alors dessiné les contours d’une terre ésotérique qui appellerait tous ceux qui ont besoin d’un nouveau départ ? Peut-être pas tous, mais moi, c’est sûr !
J’apprends aussi peu à peu à apprivoiser Amber et Perry, les propriétaires du ranch, qui me racontent inlassablement et merveilleusement leur Canada. Ils respirent une paix et une simplicité qui me transmute.
Je sens que je suis au bon endroit, pas seulement au Canada, mais ici dans ce ranch, pour accéder à ma solitude tant désirée, pour savourer cette sensation infinie d’avoir l’éternité devant moi. Chacun des endroits que j’ai choisis depuis le début de mon voyage, toujours sélectionnés dans l’élan de mon instinct, répond merveilleusement à mes besoins. Cet espace loin de tout et paisible ne manque pas à cette vérité, malgré les tribulations d’une autre âme, parfois jumelle par sa sensibilité et ses piquants blessés, qui tente de me rencontrer, que j’essaie de comprendre.
Je sens que je reprends en main mon destin, je respire mieux. Mon état se stabilise après une semaine un peu aléatoire sur le plan émotionnel. Je reviens à l’équilibre. Mon état se stabilise après un mois et demi passé en territoire américain. J’ai beaucoup aimé l’Alaska et je ne me lasse jamais de tous les paysages que j’y ai découverts, de tous ceux d’il y a deux ans toujours imprimés dans mon âme, mais mon cœur respire toujours un peu bizarrement quand je suis en territoire états-unien. Je pense qu’il y a une espèce de tension, voire violence, qui réside pernicieusement en chacun et que je me la prends invisiblement de plein fouet. Ce n’est qu’une fois que j’en pars que je réalise que je ne respirai pas tout à fait pareil… Et arrivée au Canada, le pays a soufflé une telle paix dans mon âme. Je me sens véritablement bien ici.

* nommé ainsi à cause d’un sommet voisin qui a des étranges allures de chat (noir bien évidemment) !
** à l’été 2018, j’ai tenté ma première percée canadienne rêvant d’y vivre un jour : 28 jours
Justine T.Annezo – 17-21 Oct 2019, Hinton (AB) – GMT -6