
Le matin commence sa journée sur une route parsemée de chèvres des montagnes gourmandes et de cerfs majestueux, direction Jasper où j’envoie mes missives et trouve mon améthyste magique et protectrice. Puis, avec ma nouvelle compagne de voyage rencontrée au Black Cat Guest Ranch, Anja, nous prenons le chemin du Lac Maligne pour mettre nos pas enneigés dans ceux de ma copine Caro qui était ici même il y a un an ! Cela fait du bien de changer de pèlerinage pour une fois… Nous traversons les arbres brûlés d’un autre été, nous arrêtant éblouies par la vison du Lac Medecine presque asséché par la venue de l’hiver, sur fond de montagne par encore tout à fait blanche. Quand nous atteignons le vrai lac de notre point d’arrêt, nous prenons la voie de pompier sous la neige, nos sandwichs de déjeuner enfournées, pour entamer notre randonnée. Mon cœur doute de la vue imprenable au bout du chemin tant le brouillard est épais, mais le soleil triomphe de temps en temps, nous laissant deviner un regard gris enneigé sur le lac au pied des cimes. Nous n’atteignons pas l’ultime tableau cependant, celui du véritable sommet ; le ciel était trop aveugle, la neige trop incertaine. Le peu que nous glanons est déjà magnifiquement offert, timide, à notre randonnée d’automne blanc, mis en chanson par les oiseaux gourmands qui répondent au sifflement enchanté d’Anja.
Notre chemin se poursuit dans le jour qui se coucherait déjà presque, afin d’atteindre les deux magnifiques chutes d’eau d’Athabasca et Sunwap, nées du centre de la terre, élevées jusqu’à la cime des montagnes. Hors du commun, presque indescriptibles… Si profondes au creux de la terre, si puissantes au cœur de la pierre. Athabasca m’époustoufle particulièrement lorsqu’elle s’offre sur fond marin de la montagne blanche qui rougeoie du soleil couchant, lorsque je découvre l’eau bleu verte dans laquelle elle se jette. Sunwap m’émeut par ses racines si profondément mises à nues par l’érosion de la terre, par nos pas qui la foulent.
Notre chemin se poursuit afin de rejoindre notre toit pour la nuit. Certains conifères s’ornent de rouge automne trompeurs sur la bas côté, car ils meurent pour de vrai en fait, à cause d’un insecte venu des Etats-Unis. Alors, c’est beau mais c’est triste. Le soir se lève véritablement à présent, au rythme des montagne au formes biscornues qui se déshabillent et se fondent.
Et la journée s’achève de façon grandiose, de façon invraisemblable. Je savais que notre organisation était un peu aléatoire, que cette histoire d’auberge pour laquelle on ne pouvait pas réserver mais qui laissaient les clés à l’entrée à condition d’appeler était un peu puante, mais je savais aussi, comme toujours, qu’une solution se présenterait à nous. J’ai bien essayé de les appeler les gredins, de la cabine téléphonique prévue à cet effet sur le bord de la route, mais à la place, par une mauvaise utilisation des indicateurs nationaux, j’ai failli appeler la Chine ! Ainsi, l’auberge de Beauty Creek nous est bien fermée pour la nuit, la véranda du lieu n’est cependant pas verrouillée et nous offre un autre refuge, plus étanche que la voiture, pour la nuit. Emmitouflées dans nos 36 couches et 50 duvets, nous nous blottissons dans le noir de notre salle de cinéma improvisée pour regarder le début de The Mask, jusqu’à ce que la batterie de mon ordinateur rende l’âme. Un souvenir précieux qui donne des paillettes dans les yeux, qui fait pétiller le cœur, tant l’instant est beau de son presque rien ! Rendues aux ténèbres du soir, nous jouons un peu aux sorcières avant de retrouver nos rêves de nuit glacée.

Au petit matin, comme d’habitude par ces nuits de sac de couchage que j’apprends à savourer, je me réveille bien tôt. Sauf que le soleil se lève plus tard que moi et je somnole à nouveau pour quelques tendres minutes avant d’aller découvrir la beauté froide et gelée de Beauty Creek comme premier pas du jour. Le maigre filet d’eau, quand il n’est pas figé ou enneigé par l’hiver, roule doucement vers les glaciers de Columbia au loin et depuis les deux cascades d’hier dans mon dos.

Réchauffées de cette fraîche promenade, la voiture nous ballade à nouveau dans la blancheur du matin pour mieux se jeter dans le gigantesque et irréaliste champ de glace de Columbia. C’est tellement magique de voir tous ces glaciers bleu translucide, bleu immortel qui se confondent à présent avec la poudreuse et viennent trancher mon Exit Glacier vert et toujours en été de l’Alaska. Il a tellement neigé sur la route alors, nous ne pouvons regarder les glaciers de plus près. A la place, nous contemplons depuis quelques cimes, la magnifique descente de soleil vers Saskatchewan River dans laquelle nous tourbillonnons à couper le souffle.
Nous nous arrêtons toujours frileusement à Mistaya Canyon. C’est encore une fois l’incroyable épopée de l’eau qui a creusé la roche, de sa lente érosion, de son furieux courant. C’est encore une fois une aventure millénaire qui m’émeut indiciblement. Le matin se lève alors véritablement, plus brillant, nous gardant affamées vers le lac Louise. Tout ce qui aurait pu nous réchauffer l’estomac a fermé avec la saison, nous devrions courir d’une traite à la prochaine ville. Pourtant, chaque cascade gelée m’appelle, chaque lac luminescent m’attire, et me laisse pour toute compagnie une amie de plus en plus mal embouchée. On finit par arrêter de s’arrêter néanmoins et rejoignons notre cantine négligée.
Le ventre à chaud et l’humeur d’Anja souriante à nouveau, nous sommes fin prête à randonner le bleu hypnotique du Lac Louise, le noir de ses rochers alentours, le blanc de ses neiges éphémèrement hivernales, le glacé de ses éternités. C’est une marche de conte de fées alors que nous nous rendons au salon de thé d’Alice au Pays des Merveilles dans le bruit figé en stalactites des minuscules cascades alentours, dans les arbres nus qui laissent transpercer la lumière sur la neige. Nous ne verrons pas le glacier final car je pense déjà au retour à pied dans la neige, car je pense déjà au retour en voiture dans la nuit. Dommage, nous aurions eu le temps mais alors, nous n’aurions pas rencontré le porc-epic en goguette, l’apogée parfaite de cette journée multiple. Le glacier importe peu finalement, la marche fut belle et dépaysante du début jusqu’à la fin, les yeux en pétillent d’étoiles jusqu’à plus d’heure alors que la nuit accompagne notre trajet de retour vers notre grande maison d’autres montagnes.

Justine T.Annezo – 22-23 Oct 2019, Parcs Nationaux de Jasper et Banff (AB) – GMT -6
Une réflexion sur “Échappée Belle”