Vagabonde Immobile : Semaine 2

S’enivrer

JOUR 9

J’ai tant d’idées qui philosophent au cours de ma journée, mais ne les inscrivant pas au moment où elles me traversent, je n’ai plus le besoin de les jeter sur le papier le soir venu, à la lueur tamisée de ma lampe de chevet. J’aurais beaucoup de choses à méditer par l’écriture mais pas ce soir !

Alors je jette en vrac, sans filtre ni poésie.

Il y a cette idée que le confinement me rapproche de ma famille, me reconnecte à une certaine idée de mon enfance comme pour réparer certains souvenirs bancals. Il y a ce malaise du mois d’avril. Au rendez-vous tous les ans. Même si on est en mars. Il y a ce miroir de moi-même alors que j’ai vécu loin de mon image pendant huit mois. Ce mal-être physique dont je ne supporte plus le reflet. Il y a les milliards d’envies qui me transpercent et que je me sens incapable de concrétiser à cet instant, ce qui me terrifie et m’angoisse.

Il y a cette minute aujourd’hui pendant laquelle je n’ai pas écouté mon besoin, que j’ai littéralement fuie en courant. J’ai rempli mon attestation comme une furie et je suis partie courir. Tentant vainement de m’envoler. Dix minutes plus tard, j’aurais pu mourir sur le pavé. Depuis une semaine, ma seule activité est de marcher de la cuisine à la chambre, de la chambre à la salle de bain, je descends parfois pour rejoindre les toilettes. Comme tout le monde, la carte du pays de mes prochaines vacances ressemblent étrangement au plan de construction de la maison de ma mère. C’était ma première sortie depuis le 17 mars. Mes muscles se sont engourdis et n’étaient pas prêt pour une telle déculottée. Puis la déchirure de mon ventre s’est éveillée par l’effort. Alors j’ai arrêté mon élan sous les bourgeons du printemps. J’ai marché une heure pourtant. Profitant de cette minute de solitude. J’ai laissé glisser mes doigts sur le grillages de l’école comme une enfant et j’ai pensé à la maladie, j’ai pensé au masque, j’ai pensé à mes mains qui portaient peut-être alors un virus grincheux.

Il y a ce souffle coupé. Il y a ces fantômes qui reviennent comme une armée, coincés dans mon immobilité. Il y a mes yeux lourd à cette minute. Il y a cet enfermement sans la solitude.

Il y a les règles d’écriture que je m’impose. Celles que je me fixe et qui m’enferment. Il y a le cycle de la femme. Il y a le téléphone et tous les autres médias qui prennent le pas sur moi. Il y a la déshydratation. De mon corps. De mon âme. Je ne bois pas suffisamment d’eau. Par contre, chaque soir ouvre l’appétit de ma beuverie. Thème du confinement Semaine n°2 : APÉRO !

Il y a les mauvais présages et les énergies bienveillantes. Il y a toutes les révélations voyageuses qui s’évanouissent. Il y a cet aujourd’hui qui est peut-être passager ou plus sûrement de la couleur de ma véritable humeur.

Puis il y a la lune qui change de robe, qui change de forme. Ce soir, elle s’invisible. Elle me renvoie à sa dernière plénitude et à la mienne. J’étais en plein soleil, d’humeur joueuse et allègre. Depuis, le monde a changé de face en deux temps trois mouvements. Mon propre monde a pris des revers sombres qui m’illuminent, des revers joyeux qui m’obscurcissent. Il suffit du plus infime coup de nageoire pour que mon océan intérieur fasse des ronds dans l’eau.

Puis, il y a, malgré tout, malgré l’obscurité de mon cœur en ce neuvième jour de confinement, il y a cette occasion détournée de continuer à explorer les contours de mon être.

JOUR 10

Ce matin, mon réveil neige à gros flocons. Absolument inattendu après le grand soleil d’hier. La France n’a pas eu d’hiver mais elle se met à la neige au milieu du printemps ! Le monde va mal…

Je m’émeus de l’enthousiasme de Sara, ma sœur de 21 ans. Elle court partout, prend en photos les gros flocons, voudrait réveiller sa sœur qui ne se lève pas avant 13h, dévale les escaliers pour prévenir ma mère et me dit toutes les 3 secondes avec des étoiles dans les yeux : « Oh, c’est trop beau la neige ! ». Depuis le début de ce confinement, je retrouve en Sara la petite fille malicieuse qu’elle était. Je reconnais en elle cette joie si douce et naïve dont elle rayonnait et qui faisait d’elle une enfant émouvante de sa voix haut perchée. Elle a toujours eu cette capacité à être comblée par l’infime. Elle se plongeait pendant des heures, avec un sérieux et une patience immense, dans ces petites choses qui la rendaient heureuse. Son âge adulte a gardé cette patience et ce sérieux mais cela faisait longtemps que je n’avais pas perçu cette lumière en elle. Quelque chose a changé en mon absence et Sara n’est plus la même, c’est magnifique.

Devant l’enthousiasme enfantin de Sara, seule ma mélancolie irradie cependant. La neige représente mon ailleurs fini et passé. C’est un autre temps, une autre moi. Je repense à l’Alaska et à mon propre émerveillement devant les premières neiges. « C’est la première fois que tu vois de la neige ? – Non ! Mais c’est tellement rare par chez moi, ça a toujours un goût de magie… » Pas aujourd’hui ! Aujourd’hui ça nourrit ma mélancolie et mon marasme. Aujourd’hui, ça me coupe les ailes. Aujourd’hui, je repense à cette première neige alaskienne et à toutes celles qui ont suivi sur mon chemin, porteuses de possibles, d’aventures, de changements même si la nature se figeait dans la glace. J’étais à la minute juste avant, juste avant la metamorphose. Aujourd’hui enfin papillon, la chrysalide s’est refermée sur mes ailes et je ne peux véritablement vivre ma nouvelle vie.
Aujourd’hui, j’arrête d’écrire, de travailler, de faire le bilan, d’avancer ; je m’évade dans des aventures intergalactiques de l’astrologie à travers mon roman du zodiaque, espérant que ma flamme créative se réanime bientôt.

JOUR 11

Aujourd’hui, c’est vendredi, c’est le jour où je m’enfuis. Ma mère a des connaissances dans la vignoblerie et aujourd’hui, je vais leur donner un coup de main dans les vignes. J’ai les pieds qui fourmillent, je commence à ressentir l’appel du large même si je ne me l’avoue pas vraiment. Alors cette version du workaway à la maison est une aubaine. Sauf qu’on me paie en bouteilles de vin à la fin de la journée, loin de moi l’idée de m’en plaindre !

C’est une telle bouffée d’air frais. Je regarde les couleurs de la nature qui s’habille petit à petit de printemps, déposant mon spaghetti rouge un cep sur deux pour éviter que les vignes confondent qui elles sont. J’aime ce moyen de continuer de voyager chez moi. Mon corps retrouve en un instant le mouvement familier du voyage et de l’imagination, même s’il ne rêve pas bien loin. Ma flamme s’illumine à nouveau, mon esprit irradie de tout ce que j’écrirai en rentrant, comme si souvent lorsque mon corps ouvrage en pleine nature. Ca me rappelle la cidrerie de Vancouver Island, allégée par les rires facétieux de Lola…

Malheureusement, le barbecue au rosé du midi me saoule avant l’heure, coupe ma ré-création dans son élan. Je prends mon dernier verre à 15h, grossière erreur ! Je n’aurais jamais dû arrêter de boire. Et oui, pour les cuites d’après-midi, l’erreur n’est pas de commencer mais de s’arrêter. Car on se prend alors le coup de massue de la fatigue, puis vient la dépression. Tant est si bien que toutes les écritures rêvées devront attendre. Le sang filtre mon alcool petit à petit et efface mon allégresse. Ce n’est pas aujourd’hui que je transmuterai mes écrits.

Je chéris en soirée, lorsque ma gueule de bois d’après-midi s’est évanoui, les instants précieux qui n’ont certainement lieu que parce que nous sommes confinés. Ma mère nous raconte sa jeunesse. Ses aventures heureuses, ses péripéties hasardeuses. Elle nous partage un morceau d’elle que nous ne connaissons pas, et je sais que mes sœurs boivent ses paroles. Elles pour qui la jeune femme qu’elle était, est un mystère. Pour ma part, la jeune femme qu’elle était, était ma mère. J’ai le privilège de l’aînesse, d’avoir 9 ans d’avance sur la plus âgée, et d’en connaître un tout petit peu plus. Je me souviens par bribes, déformées par la mémoire d’enfant, de cette campagne où mes sœurs n’ont jamais vécu, de ces gens que mes sœurs n’ont jamais connus, des absences infiniment longues de ma mère, de l’admiration sans faille que je lui portais. De cette jeune femme tellement libre que j’étais jalouse de la liberté qui me l’arrachait trop souvent. Cette fois-ci, l’histoire de ce temps-là qu’elle nous raconte, je ne la connais pas. Mes sœurs s’en emparent comme une précieuse confidence, elles si désireuses de tracer les contours énigmatiques de notre mère.

Je chéris en soirée ces instants précieux qui n’ont certainement lieu que parce que nous sommes confinés… Mes sœurs jouent à la coiffeuse. Elles font des expériences capillaires. Lola surtout ! Comme toujours…. Elle en a fait tant dans son enfance. Quand elle avait quatre ans, nous l’avons retrouvée avec une petite houppette sur le devant de la tête : « Ben quoi, ils me gênaient pour dessiner ! » Logique implacable, ils ne la gênaient plus alors. Aujourd’hui, Lola s’ennuie, le confinement éteint à petit feu la lumière explosive qu’elle a en elle. Lola s’emmerde. Ca fait deux jours qu’elle ronge son frein : « Ce soir, vous me faites une frange, sinon, je vous préviens, je la coupe toute seule ! » On sait qu’elle en est capable. Elle a 19 ans, mais elle n’est pas plus sage. Ou plutôt, elle n’est pas plus raisonnable. Parce que Lola nous a toujours surpris par une étonnante sagesse pour son âge ; à six ans, elle nous racontait qu’elle était l’enfant de la Lune et qu’elle nous avait choisis comme famille sur la Terre. Je vous dis, Lola est une sage, elle possède une âme ancienne, mais elle a bien trop d’espièglerie dans le cœur pour être sérieuse. La vie est une immense cour de récré pour sa joie exponentielle.
Pour l’heure, elle a besoin d’une apprentie coiffeuse et je me garde bien de me porter volontaire… La dernière fois que j’ai touché à une paire de ciseaux, c’est parce que je lui avais dit : « Non mais t’as pas besoin d’aller chez les coiffeur juste pour te faire couper les pointes, je vais te le faire moi, c’est facile! » Résultat : Elle s’est retrouvée avec une belle diagonale de cheveux dans le dos…. C’est donc Sara qui s’y colle et elle s’y prend beaucoup mieux que moi. Elle dit en rigolant : « Si je réussis pas en chiro, au moins, je sais que j’ai un avenir dans la coiffure ! » Toute façon, Lola, tu lui mets un sac poubelle sur la tête qu’elle est jolie !

Justine T.Annezo – 23-29 Mars 2020, Carcassonne – GMT+1

PS : Si vous avez les jambes qui ont des impatiences, les yeux qui veulent voir du vert, les mains qui veulent toucher la terre, je vous invite à vous inscrire sur ce site afin de venir en aide aux agriculteurs qui ont besoin de main d’oeuvre en cette période de covid-19 / confinement (faire du volontariat dans l’agriculture fait partie des autorisations de sortie de nos attestations).


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