Chasser les œufs et les soucis

JOUR 24
J’ai le cœur au bord des yeux. Depuis la voix de l’aide soignante à la radio ce matin. Depuis cette minute hebdomadaire où, prenant la route vers les vignes, je reconnecte avec la réalité du monde par les ondes radiophoniques. J’ai été soufflée. Depuis la voix de l’aide soignante qui raconte que sa vie aura un avant et un après coronavirus.
On nous annonce le nombre de nouveaux cas par jour. Comme si cela avait un sens ces nombres crachés comme un cauchemar si l’un de ses numéros n’est pas la chair de notre chair. On nous dit qu’on va être confiné plus longtemps mais qu’il nous faut attendre lundi pour en savoir plus. Comme si on allait vraiment nous l’expliquer sans nous prendre pour des idiots. Le confinement, non pas dans ses répercutions immédiates mais dans sa signification de longue haleine, commence à me peser. Je sens qu’on nous manipule et cela me rend dingue. Je sens que l’on va continuer à restreindre mes mouvements pendant encore un moment et cela ne me plaît guère. On nous parle de recession économique, la plus grosse depuis la guerre. Comme si on espérait, nous jetant les gros mots, continuer à faire grandir le monstre de la peur.
Et l’on nous force au silence, on nous force à l’absence.
Aujourd’hui, nous nous taisons, nous nous enfermons ; nous suivons l’exhortation au devoir citoyen. Mais demain ? J’espère que demain le peuple se lèvera. Qu’il refusera un retour à la normale. Car de quelle normalité nous parle-t-on ? Celle de l’état d’urgence, des gaz et de la police ? Celle de la défiance, du mépris et de l’absolutisme ? Non, merci. Que l’on arrête de nous dire qu’on va colmater les murs de la maison qui s’est écroulée, il faut raser à présent ! Que l’on arrête de nous prendre pour des quiches ! Faites gaffe à vos trognes parce que lorsqu’on va sortir, ça va péter ! On va bien-sûr avant, tous aller boire un coup pour la plus grosse gueule de bois du siècle, on sera tous amis, on sera tous frères, on célébrera d’avoir presque complètement gagné la partie et forts de cette nouvelle fraternité de beuverie, on changera le monde je me le promets ! Je l’espère de tout cœur ?
C’est bien utopique n’est-ce pas ? De rêver à ces lendemains qui chantent comme dirait l’autre. C’est bien naïf de penser que tout le monde s’accordera pour changer le monde. Parce qu’il y a certains à qui le monde d’avant plaisaient grandement. Et puis, il y en a d’autres – la majorité – qui ne sauront se mettre d’accord…. Parce qu’on ne veut pas tous le même monde nouveau en fait.
Alors depuis ce matin, j’ai le cœur au bord des yeux même si ces mots jetés sur le papier me mettent de la poudre à l’âme. Je voudrais que l’on puisse s’offrir un monde meilleur pour trouver un sens à notre cœur. Je voudrais que l’on puisse se soigner individuellement afin de se libérer massivement. Mais plus ça se rapproche de s’éloigner, plus je commence à douter.
Et ce cœur dans les yeux ou ces larmes dans le cœur, j’ai continué à faire tomber les fils pour laisser grandir la vigne en toute liberté. Et laissant tomber les fils, j’ai fait tomber les masques. J’ai compris cette chose bête, cette chose évidente, cette réponse simple à la question que l’on me pose toujours : mais pourquoi vouloir à tout prix quitter Toulouse pour l’ailleurs alors que tu l’aimes tant ? C’est vrai que je n’avais pas de véritables explications à cette simple interrogation. Mes raisons étaient innées et donc impalpables. Pendant un temps, toujours en deuil d’un certain passé blessé, il y avait la sensation que je – nouvelle moi – ne pouvais pas (re)commencer au même endroit – ancien toi(t). Il y avait donc une part de fuite. En avant certes. Mais une fuite. Puis cette vérité a commencé à ne plus être la mienne. Et je n’ai plus su que dire. Alors que la réponse est beaucoup plus simple et ne se contient pas dans le mot « quitter » mais dans cet autre, « vivre ». Aujourd’hui, mon nouveau rêve, c’est de vivre à l’étranger. Dès que l’un me dit qu’il vit là-bas alors que je suis ici, je l’envie, j’ai l’âme prête à s’enfuir. Là-bas. Alors oui, j’aime Toulouse, c’est ma maison et tout ailleurs qu’il soit ne m’enlèvera jamais ça, mais je rêve de vivre – prendre racine, rencontrer, respirer, regarder, m’ennuyer – ailleurs. Ma vérité ne se contient pas dans le mot « quitter » mais dans cet autre, « rêve ». C’est bête de s’émouvoir d’avoir formulé une telle évidence, visible comme le nez au milieu de la figure. Tout m’apparaît pourtant et soudainement beaucoup plus limpide.

J’ai changé d’espace de travail. Moi qui travaille souvent à la maison, je m’autorise en plein confinement, à définir un espace travail et un espace détente. Je déménage, je me donne la sensation de ne pas être enfermée.
Je me recréé mon espace idéalisé d’écrivain.
Je me sens transcendée. Je me sens connectée au delà du présent.

JOUR 27
Je n’ai pas marqué cet étranger qui commence à marquer ma mélancolie. Ce n’est pas tant le voyage qui me manque, j’ai la mémoire encore remplie de mes merveilles de vagabondages. Mon manque, c’est de me tenir à cet endroit de la terre où mon cœur résonne à la parfaite place. Mon manque, c’est cette énergie étrangère qui m’est soudain plus familière, plus accordée à mon état d’être. Ce n’est pas l’exception, le passage, le mouvement qui me manque, c’est le quotidien sur ma nouvelle terre choisie, sur mon élue.
Oui, je suis Française et me reconnecte avec délectation à mes racines familiales par cette quarantaine. Mais ma maison est ailleurs à présent et il me faut creuser de plus en plus en plus loin pour maintenir mon état de grâce. C’est comme une batterie qu’il faudrait recharger, je ressens le besoin de me rebrancher à la Terre qui m’appartient. Et elle n’est plus ici. Alors j’ai la mélancolie, le blues, le bourdon ; j’ai le cœur en prison comme les pandas des zoos.
Sensation fugace que même cette enfilade de mots ne pourrait pas contenir.
Enfermée, je choisis de m’émerveiller du presque rien cependant. De cet oiseau qui chante alors que j’écris. De l’escargot qui se réfugie sur la feuille de vigne alors que je tombe les fils. Du soleil qui ne se couche jamais de la même façon sur la montagne noire. De mon chat qui ronronne alors qu’il pleut sur Pâques.
Je chéris tous les moments précieux qui m’unissent à ma famille. L’émotion de Pocahontas un matin de Pâques. Les ateliers créatifs pour décorer les maisons de fortune des œufs en chocolat. Ce weekend de Pâques qui me voyage inéluctablement à ce meilleur souvenir d’enfance pour lequel je n’étais, en fait, pas présente. Le moment quotidien que l’on partage autour d’un repas en famille, au coin d’un film avec mes sœurs. Je m’émerveille de cette chance incroyable d’être confinées avec elles. Ma mystérieuse maman. Mes sœurs joueuses. D’être rentrée avant d’être en quarantaine trop loin.
Je savoure cet amour indéfectible et rassurant qui nous lie. Malgré les claques et les mots durs. Cet amour qui prévaut. On peut laisser éclater sa colère, s’en excuser ou pas, et savoir qu’il y a toujours quelqu’un pour nous aimer quand la colère sera passée.
Je m’émerveille, je chéris, même si je mélancolise.
C’est ainsi, je m’arrête, je n’ai plus de distraction pendant lesquelles je pense au monde entier, du plus infime détail au plus grand bouleversement. Je suis reconnaissante même quand je suis maussade. Je comprends que c’est autre chose qui me pollue. Ce n’est plus le palpable. Ce n’est plus le réel, c’est ce que j’en fait. C’est l’imagination. C’est le non-présent. C’est cette vie qui fait du sur place alors que je me sentais prête à repartir.
Puis, il y a le temps, ce temps qui pose tant de questions depuis que l’absence a bouleversé mon monde. Je pourrais être confinée depuis hier, je pourrais être confinée depuis mille ans. Vraiment. Ce n’est pas juste une image. Je ne sais pas ce que j’ai fait il y a une semaine Je ne sais même pas si c’était il y a une semaine. J’ai adopté le rythme confiné sans broncher, je savais que ça durerait et ça m’importait guère. Le pendant était un mal nécessaire, mais l’après ?
Oh, s’il vous plait, dites-moi que l’après ne sera pas le même, que nous sommes prêts à bâtir autre chose en semble. S’il vous plait, dites-moi que l’après sera un cœur qui chante.

Justine T.Annezo – 6-12 Avril 2020, Carcassonne – GMT+2
PS : Je rêve de révolution pacifique et je ne sais pas comment nous y prendre mais lisant les enseignements de Bouddha, je me suis dit que le premier pas était peut-être pour nous tous « de ne pas croire, sans mener une réflexion personnelle, [les] paroles [de nos représentants] ». Comprenne qui voudra…
Hello ! C’est un très bel article, rempli de jolies pensées, d’espoir et d’appel à l’aide un petit peu. Je n’en ai pas perdu une miette, j’adore ton écriture. J’ai hâte de pouvoir prendre le large à nouveau, pouvoir fouler de nouveaux sols, découvrir de nouveaux endroits. Il ne faut pas oublier que tout fini par passer … Passe une belle journée ! 🙂
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Merci pour ton très gentil retour. Un appel à l’aide oui ;pour nous tous plus que pour moi individuellement néanmoins 😉 Sais-tu quelle pays tes pieds souhaiteraient fouler ? Belle journée à toi ! 🙂
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J’en ai tellement en tête … Je suis attirée par les pays asiatiques en ce moment, particulièrement la Thaïlande, la Malaisie et le Japon 🙂
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