Vacances Romaines – Jour 8

Le chœur des Planètes.

Les énergies se défoulent, elles déferlent vers mon cœur comme un ouragan, comme une tempête des mers. Encore une fois de façon intempestive. Sans me prévenir. Sans se mentir. Elles profitent de l’envergure de la Via della Conciliazione sur laquelle je viens d’atterrir au gré de mes errances pour aiguiser leur raz-de-marée et elles m’engloutissent afin de mieux m’élever. Elle m’éblouissent et me clouent au sol. Incapable de comprendre.

Est-ce la Bocca della Verità qui, me gardant la main sauve de mes mensonges hier, se révèle aujourd’hui à ma vérité ?

Est-ce le ballet invisible des planètes dans cette constellation du 24 août où les bêtes à cornes s’opposent au corps à corps, d’élan forcé en élan empêché, de structures à déconstruire qui manquent de cœur en rebellions à proclamer qui manquent d’esprit ?

Est-ce ce Rome l’Eternelle, celle au creux de laquelle reposent les mémoires de l’Humanité et qui semble faire de moi la messagère du Ciel et de la Terre, de leurs secrets enfuis depuis des millénaire ?

Qui saura…

Des énergies plus fortes que moi sont à l’oeuvre, effleurant les pavés blancs qui dansent vers Saint Pierre majestueux, vers les oeuvres enluminées du Vatican. Il se passe quelque chose qui me foudroie et m’effondre. Transie. Le souffle coupé. Cachée derrière mes lunettes de soleil. Sur un banc de la Via della Conciliazione. Je ne lutte pas. Je ne tente pas de m’en défaire. Je m’abandonne à la submersion de la vague. Je me laisse traverser. J’encourage les eaux salées à purifier les blessures du présent universel. Je souffre l’émotion qui se délie à travers moi. J’attends que ça passe comme une bienheureuse. Je laisse les vibrations indicibles expier leur état cathartique. J’aspire à libérer quelque chose d’invisible par cette communion. Je sais que cet état ne m’appartient pas, il me bouleverse pourtant. Comme si j’étais le passage de quelque chose. Comme si j’étais porteuse d’une tristesse karmique, historique, ancestrale ou même universelle.

Puis je reprends ma respiration.

Puis je reprends possession de mon corps et de mon être.

La vague est passée.

Piazza San Pietro

Tout avait si bien commencé…

Contemplée par les fresques de Raphaël de la Villa Farnesina. Me tenant soudain, irréelle, sous les couleurs immortelles d’un grand maître dont j’ai si souvent entendu le nom qu’il est venu hanter le colloque de mes princes et princesses inventés. C’est un peu comme la première fois que j’ai rencontré la Joconde – sauf que celle-ci m’avait déçue alors que je ne savais rien des traits fins de Raphaël -, ou la première fois que mon vrai œil a contemplé la véritable ligne des gratte-ciels de Manhattan ; mon imaginaire collectif avait pris le dessus et il m’était presque impossible d’accepter ce que j’avais sous les yeux. Presque impossible de comprendre que tout était bien réel et non plus une idée flottant dans la magie de mes souvenirs.

J’ai ainsi flâné sous la pureté des lignes, poudrée de bleu majestueux, de nouveau enveloppée de quelques sensations de Princesse Anne. Je voulais toucher, goûter ; me laisser posséder par ce cœur gonflé d’admiration. Il y avait aussi quelque chose de l’ordre de la dévotion. Je me suis sentie si reconnaissante d’avoir l’incroyable chance de pouvoir contempler ce spectacle pictural. J’étais éternellement et immensément riche de ce que j’étais en train d’éphémèrement regarder.

Et j’ai pris le temps d’un petit déjeuner au pied de la colline de Janicule pour digérer toutes ces magnificences à défaut de pouvoir me nourrir d’autres entre les ombres et lumières de Rembrandt du Palazzo Corsini fermé au public aujourd’hui.

Plafond de la Villa Farnesina

Tout avait si bien commencé…

Non pas que ce soit en train de mal tourner mais cela me dépasse absolument. Cette journée est en train de franchir mon Rubicon. Je ne peux reculer. A vrai dire, je ne peux pas plus avancer. La vague est passée mais je ne peux toujours pas bouger. Un désespoir universel, ça prend son temps pour vous abandonner après vous avoir envahi.

J’attends d’être sûre que c’est bien fini, environnée de la blancheur des pierres romaines. Je n’ose même pas regarder la Basique dans les yeux… J’avoue redouter un peu ma future incursion derrière les frontières invisibles et sacrées du Vatican après avoir été si puissamment aux prises d’énergies au-delà de moi à l’orée. Quelle sera la force tellurique de là-bas quand je serai entre les murs spécialement conçus pour faire circuler les énergies ?

Mais c’est assez pour une journée, je suis lessivée par cette machine à laver holistique. Je suis purifiée. Je me protège à l’ombre des Anges du pont et je déambule légère et joyeuse. Je trinque à la santé de cette transcendance, je me laisse enivrer pendant des heures par le Spritz de la Via dei Coronari.

Ponte Sant’Angelo

Je perds la notion du temps comme si un jour était manquant alors que ce sont seulement mes heures qui se confondent et se superposent.

Je suis déjà demain au Vatican. Je contemple déjà la magnifique pureté de la Pieta à l’entrée de la Basilique. Les émotions sont beaucoup moins subtiles et incohérentes que sur la Via della Conciliazione. Je suis simple spectatrice aujourd’hui. Je me sentirais presque écrasée par les trésors que le Vatican garde jalousement plutôt que – comme serait sa mission évangélique selon moi – d’éradiquer la misère dans le monde.

Entre les couloirs astronomiques. Sous d’autres fresque de Raphaël. Devant le bluet Dernier Jugement. Suspendue aux fameuses et étonnamment petites mains tendues de Michel-Ange. Au cœur de la fameuse Chapelle Sixtine qui ne fait que nous interpeller : « Silencio, per favore! » décriant toute la sainteté du lieu. Je n’ai rien à écrire. Je ressens beaucoup mais la vague d’aujourd’hui a pris le pas sur tous mes demains romains. Ce qui vient après est un magnifique brouillard émerveillé de mots égrenés sur mon carnet dont je tente de faire un collier imparfait sur mon écran.

J’avais quelque peur de ce qui m’attendait sur l’un des lieux les plus intelligemment sacré de la planète mais c’était beaucoup trop, c’était trop peu, comparé à l’alignement des astres et du méridien de mon corps sur la Terre un 24 août à Rome.

Demain tout a disparu et je ne suis plus qu’immensément reconnaissante de qui s’offre à chaque carrefour romain. Demain tout a disparu et je ne suis plus que contemplative du tourbillon de la vie.

Demain tout a disparu et je suis infinie.

Justine T.Annezo –24 août 2020, Le Vatican – GMT+2


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