NATIONALEMENT APATRIDE

Ce soir, alors que je m’apprêtais à sombrer dans certaine lecture américaine, je fus soudain interpelée par le bruit familier des pétards du 14 juillet. Je pensais que, Covid oblige, le ciel de nuit ne s’ornerait pas de tricolore cette année, alors ça m’a un peu prise par surprise. Ni une, ni deux, je me suis jetée sur mon ciré pour être de la foule de ce jour national. Je voulais me sentir appartenir, moi qui serais bientôt exclue du monde ; je voulais entendre la foule s’écrier « oh la belle rouge » « oh la belle bleue ». Je suis alors partie au-devant de la Garonne pour assister au spectacle.
Et j’étais spectatrice des spectateurs, désireuse de ne point trop me frotter au cordon de CRS qui fermait l’enceinte de cette mêlée de 14 juillet. J’étais de l’autre côté de la rue, les exclamations ne me parvenaient que par brides et lointaines. J’observais ce spectacle extraordinairement routinier de ces gens réunis par habitude, parce que c’est un jour férié, parce que c’est l’été (bien qu’on se croirait en novembre !), parce que ça sent les vacances, parce que toutes les occasions sont bonnes d’être dehors après avoir été calfeutrés pendant plus d’un an.
Pourquoi moi-même m’étais-je lancée sous ces lampions éphémères ? Ce n’était pas au nom de la révolution, ni par esprit patriotique. Ce n’était pas l’occasion festive d’un canon de Ricard, ni d’une réunion entre amis. J’étais esseulée et passagère de ce 14 juillet ; pourtant, même fugacement, j’en étais. J’étais submergée par mon besoin vital de me perdre dans la foule, celui-là même qui avait déjà déclenché mon premier billet d’humeur il y a quelques semaines, celui-là même que je cherche à n’importe quelle occasion sportive ou amicale depuis le 19 mai.
Car oui, la vie a repris me direz-vous ; cependant cette vie a déjà trouvé sa date d’expiration pour moi – le 21 juillet pour cultiver ma culture, début août pour voyager de façon immobile et m’enivrer de façon festive -, non pas parce que je serais anti ou pro quelque chose. Mais parce que cette accélération, ce non-choix imposé, me paralyse. Parce que le respect des trois valeurs identifiées selon certains comme la Sécurité, la Santé et la Liberté, ce respect qui nous anime tous dans ce choix cornélien, s’exprime de cette façon chez moi. Il n’en demeure pas moins que cette obligation sanitaire est en train de créer une scission au sein de la population. Il n’en demeure pas moins que certains autres de mes amis, une minorité des membres de ma famille et moi-même allons nous voir retirer, une nouvelle fois, notre droit de nous cultiver, de nous bourrer la gueule et de faire la fine bouche (et très probablement, très prochainement, notre droit de travailler). Il y a un an et demi cette décision m’aurait rendue furieuse de façon absolument irrationnelle et impossible à expliquer sans pleurer de rage. Oui de rage ! A chaque fois que j’écoutais les annonces de Macron pendant le premier confinement, j’avais envie d’aller tout cramer tant je sentais la manipulation qui était en train de nous prendre insidieusement et irrémédiablement dans sa toile d’araignée.
Pas le 14 juillet. Pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, j’ai envie de pleurer tout court devant le constat du monde qui m’est proposé.
Alors devant le spectacle du 14 juillet et alors que tout le monde applaudissait de joie devant le bouquet final, j’ai pleuré tout court. Des larmes de mélancolie profonde et des larmes d’amour sincère. Car j’étais emplie d’amour pour mes concitoyens – éméchés pour beaucoup – heureux de cette beauté familière et annuelle, j’étais emplie d’amour pour mes concitoyens dont la moitié me considèrent – avec plus ou moins de violence – comme une personne irresponsable qui ne fait pas son devoir civique et citoyen. J’étais pourtant bel et bien emplie d’amour parce qu’au bout du conte, nous aspirons tous à la même chose, que nous allions nous faire vacciner ou pas : nous aspirons à la liberté d’être vivants ! Pourquoi des centaines de milliers de personnes se sont-elles précipitées sur Doctolib pour aller prendre leur piquouse après les annonces de la macronie ? Parce qu’elles voulaient pouvoir rester libres de boire des happy hour, d’aller voir Fast & Furious 9 et de manger un hamburger au Tommy’s avec les 15 % de remise des poursuites de voitures auxquelles elles viennent d’assister sur grand écran. #onelife Ô combien je les comprends ; moi aussi je voudrais être libre de continuer à faire des dégustations de bières avec mon père, d’entendre Marius dire adieu à Fanny et de faire la tournée des restaurants toulousains avec mes sœurs. Seulement, mon besoin d’être libre de faire les choix qui touchent à ma santé, à mon intégrité, à mes valeurs, est plus fort que mon besoin de participer à ces évènements qui m’ont tant manqués pendant un an.
Alors je me retire sobrement et tristement de ce monde qui s’apprête à m’exclure, je me retire avec reconnaissance auprès de ceux que j’aime, qu’ils soient vaccinés ou non, que nous soyons d’accord ou pas, parce que tout ça, pour moi, ce n’est pas une histoire de pandémie, ce n’est pas une histoire de vaccin, c’est une histoire d’humanisme.
Justine T.Annezo – 14 juillet 2021
Une réflexion sur “Billet d’humeur #2”