Vagabonde immobile : Semaine 5-6

L’Insurgée

JOUR 29

Hier, le « Grand Macron » a parlé, éveillant l’amertume dans mon cœur, allumant ma colère et toutes les bombes dont je voudrais faire exploser le système. Mais il a surtout exacerbé ma peur, la peur que rien ne change après, que l’on retourne au monde d’avant parce que l’on s’est endormi en confinement au lieu de s’éveiller.
On nous promet la liberté pour le 11 mai, que va-t-il se passer alors ? Va-t-on détrôner ce clown ridicule ou bien se laisser gouverner par ce despote sans couronne ?
Ses mots plats et hypocrites, ces lendemains qui chantent dont il s’est approprié un idéal si contraire à sa loi, ces espoirs qu’il nous a volés en les salissant, m’ont bouleversée si profondément que j’ai rêvé de révolution toute la nuit… Je brûlais les rayons de PQ !

Hier, le « Grand Macron » a laissé entendre que nous ne recouvrirons pas pleinement notre liberté tant qu’un vaccin ne sera pas en circulation. Il dit ça et nous ne brisons pas le confinement pour faire montre de notre insurrection ?! Il est tellement sûr de sa toute puissance qu’il affiche cette condition sans même sourciller… sans craindre une révolution ! N’avons-nous pas compris que les vaccins sont les plus grands lobbys de l’industrie pharmaceutique ? Qu’ils ne sont qu’un prétexte à enrichir un peu plus plus les déjà riches ? Alors pourquoi le peuple sachant ne dit rien ? Parce que le peuple sachant a peur ? Parce que le peuple sachant s’étouffe dans son confinement alors il est prêt à tout accepter pour pouvoir sortir ?
Des masques obligatoires au quotidien ? « Oui, s’il vous plaît, j’étouffe dans mon salon ! » Notre gouvernants sont brillamment cruels. Et petit à petit, sans que l’on s’en rende compte, le masque sera devenu la normalité comme l’Etat d’Urgence décrété en 2015, comme se faire fouiller à l’entrée de la bibliothèque. Sans s’en rendre compte, nous n’aurons pas changé, nous aurons accepté le règne d’une nouvelle peur.

Et au milieu, pernicieusement, au nom du plus grand bien, le « Grand Macron » nous prive de ce qui nous illumine, de ce qui nous questionne ; les objecteurs de conscience seront muets. On ne rouvre pas les théâtres, on maintient la fermeture des bars et restaurants ; ces endroits improvisés où le monde est refait autour d’une bière, d’une assiette, ou d’un poème ; où l’on débat, où l’on ferait des blagues sur le « Grand Macron » qui a dit « ébranlement » et « intime » en 3 secondes 30 hier. Tout ça n’existera plus, n’existe déjà plus ; et l’on se perd dans l’unique parole entendue, dans leur vérité légale. On oublie de penser, on a peur, on s’ennuie et on ne pense qu’à la distraction que l’on nous refuse pour échapper à la débâcle. La distraction de ce monde qui nous détruit, qui nous déteste. Certaines âmes fortes et insoumises se rebelleront peut-être à la sortie, mais la majorité ne se souciera plus de liberté, mais de survie. La majorité aura besoin de sa drogue pour sortir de sa dépression et il oubliera.

Et moi ? Moi, je ne pourrais heureusement pas. Les frontières seront fermées et je ne pourrais pas m’envoler pour ne voir que le beau. Je devrais me confronter au moche, au dégueu, à l’hypocrite : tout ce que le « Grand Macron » nous a servis pendant 30 minutes hier. Et ma survie ne passera pas par l’échappée, ma survie passera par la guerre. La vraie celle-ci, celle que l’on fait de manière pacifique et à ce qui nous limite, à ce qui nous tue à petit feu.
Je ne crois pas à la fausse lucidité dont le « Grand Macron » s’est paré hier soir, à cet espoir plaqué dont il décore ses mots, à cette humilité hypocrite, « oui, j’ai merdé les gars mais franchement, j’étais pas le seul »… J’ai vu le sourire de satisfaction, cette illusion d’être notre sauveur dont il se réjouit. Vous ne m’avez pas trompé, Monsieur le Président, vous êtes en train de jouer votre plus beau numéro, mais je l’ai vu dans vos yeux : vous êtes surtout en train de prendre votre pieds et ça me dégoûte !
Et je suis morte de peur que les gens soient tombés pour votre numéro… Ils ont déjà fait le coup par le passé, tous les votants du premier tour en 2017 avaient oublié que vous vous cachiez derrière la Loi Travail qui nous avait tous jetés dans les rues en 2016, impuissants et furieux. Une partie du peuple a oublié et a puni le gouvernement socialiste à travers le PS pour élire l’homme salutaire qui venait de nulle part. Quelle pantomime ! Vous ne veniez pas de nulle part puisque vous étiez le gouvernement à punir. Je ne l’avais pas oublié. Je n’oublierai pas non plus le 11 mai.
Parce que les masques après la pandémie, c’est comme les capotes après l’accouchement, Monsieur le Président, ça ne sert à rien !

JOUR 30

Tu le sens le goût d’interdit dans ta bouche ? Celui de prendre ta voiture et de conduire sans motif valable, en dehors du périmètre établi ? Tu sens la boule dans ton estomac car un gens-d’arme de mauvaise humeur pourrait te contrôler ? Tu fais rien de dangereux pourtant. Interdit oui, mais dangereux non. Et tu penses à Antigone et sa conception de la loi des Hommes contre la loi des Dieux. Tu fais juste un aller retour en deux temps trois mouvements parce que t’étais partie te confiner pour un mois et que t’as laissé des trucs derrière toi. Des trucs dont t’as pas vraiment besoin, en fait ; t’as fait sans pendant un mois, pendant dix mois. Et pourtant, tu prends ta voiture, pour le goût du risque, pour ce goût d’interdit d’être infimement hors-la-loi. Tu te sens résistante même si ton action ne sauvera pas le monde, simplement à cause de la sensation dans ton ventre et dans ton cœur. Tous tes sens sont exacerbés car tu n’es pas vraiment sortie depuis un mois et que ton sens des réalités est complement sans dessus-dessous. Tu le sens le goût d’interdit dans ta bouche ?

Pendant trois heures, j’étais illégale sans être dangereuse ; j’ai savouré ma bouffée de liberté.

JOUR 31

Le temps est comme un élastique, il s’étire à l’infini ou se réduit en peau de chagrin dans mon esprit. Vraiment, je ne sais pas depuis combien de temps je vous écris. Le temps est relatif, je l’ai découvert avec l’absence. Mais je me sentirais presque maîtresse du temps aujourd’hui. De mon temps. Comme si je pouvais transformer les secondes en minutes, à ma guise, à mon besoin. Je me sens dans une autre dimension, la maladie est de nouveau abstraite et le monde tel que nous le connaissions n’existe plus.
Je pense que ce sablier magique de ma temporalité vient de mon absence de présent. Comme nous tous me direz-vous. Oui mais différent. Je passe mes journées dans une autre dimension : celle de l’écriture. De mes voyages passés, des histoires que j’invente, des pays que j’essaie de fabriquer en 3D. Je ne suis jamais au présent, je suis toujours dans mes imaginations dont la temporalité est particulière et n’appartient qu’à moi.
Mon temps est élastique.

JOUR 34

Hier, j’ai raté mes scones et par extension, j’avais fatalement raté ma vie. Ca fait plusieurs jours que quelque chose me dérange de l’intérieur et que je suis bien incapable d’en définir le pourquoi du comment. Je fais mes appels révolutionnaires sans prendre la véritable mesure de combien ça me bouleverse comme un abysse. La colère est un paravent aveugle.
Je suis en colère contre le monde, je suis en colère contre mes souvenirs. Vraiment quand on se confine, on ne peut plus échapper à nos profondeurs obscures. J’ai de nouveau 15 ans et je fais des crises d’ado dans ma tête.

JOUR 39

Habitude improvisée, je branche la radio sur la route des vignes. Bribes échappées du monde de dehors. Morceaux glanés de ce qui nous attend demain. On me parle de la traque, nous aurons tous une appli – sur la base du volontariat toujours car il ne faudrait pas qu’on pense qu’on nous fait une atteinte à la liberté, hein – pour savoir si nous avons été en contact avec quelqu’un touché par le coronavirus.
Imaginons demain ? Moi, je vous l’dis, il est moche.
Le tracking, les paiements sans contact – on oublie les billets et les pièces – ; pourquoi ai-je la désagréable impression que le monde que l’on nous propose est celui contre lequel je luttais déjà avant ? Oui vous vous souvenez, l’avant. Cet avant le virus, le confinement, l’enculade de mouches.
Vraiment, je préfère rester dans ma bulle, parce qu’à chaque fois que je me reconnecte, j’ai la nausée ! C’est donc ça notre révolution ? Notre prise de conscience ? Notre changement ? Le masque et les gants, tout le monde a fait sa réserve C’est plus qu’un geste sanitaire, mettre son masque est un geste citoyen. Je suis désolée, je n’y arrive pas, ça me fait trop mal aux yeux, ça me brise trop le cœur. Parce qu’on sait tous comment ça commence, au début on fait ça parce qu’il le faut – le tracking, l’argent virtuel, le masque et les gants – on rechigne un peu peut-être, pour la bonne cause. Et puis cela devient pernicieusement la norme. Ce bal des masques… Alors moi, je dis non non non à ce bal des masques, je dis non à ce monde de demain encore plus pourri qu’hier. Je dis non, je veux autre chose, j’ai d’autres idées pour après-demain et je ne suis pas la seule. Alors venez, venez on va construire le monde de demain ensemble, et la main dans la main, oui la main dans la main sans gant.
Et je refuse de me faire taxer d’antisociale pour ce refus bourgeois. Je déteste ce virus qui brouille les détecteurs de mensonges mais je ne jouerai pas avec la santé de mon prochain. Je ne porterai pas le masque. Je sortirai moins, pas parce qu’on me l’ordonne mais parce que c’est mon rythme familier. Et je me délecterai de l’immensité d’un paysage désert.

Au début du confinement, j’avais l’espoir de ce mal pour un bien, de la transformation qui nous attendait. Je n’avais pas la naïveté de croire que nos dirigeants se transformeraient mais j’avais la certitude folle que notre attitude face à eux changerait. Et je commence à douter car ils ont une parole encore plus forte que jamais ; nous, nous sommes condamnés à l’ombre, à l’invisible et au silence. Nous ne pouvons nous fédérer, solitaires dans notre quarantaine, alors ne voyant que les pantins, n’entendant que les discours stupides, je prends peur. Heureusement, une infime étincelle demeure, car c’est toujours de l’ombre que les plus puissantes révolutions émergent.

Le rond point flou m’apparaît dans le rideau de brume ; derrière le soleil éclate, me tirant de ma colère révolutionnaire. Je ne sais si j’ai passé la barrière du temps ou de l’espace, les ondes radiophoniques ont changé d’interlocuteur. J’écoute cet auteur poitevin mentionner tous les voyages intérieurs qu’il écrit. Boussole. Puis, il parle de Mort à Venise, du choléra sur les gondoles désertes. Il voudrait être le témoin de ces lieux vides et endormis qu’on ne saurait imaginés ainsi. Venise. New York. Paris. Il voudrait être le vagabond de ce monde en suspend. Moi aussi, oh tellement. Pas parce que le mouvement me manque, mais parce que je toucherais l’inatteignable sève de mes voyages : créer l’exception, vivre l’expérience unique.

Puis, je retrouve le mouvement familier de mon travail vigneron. Je monte les vignes en descendant les fils, je pense à mon été prochain, ici. Immobilisée entre les frontières de mon pays, de cet endroit dont je m’échappe inlassablement depuis quatre ans. Soufflée par la même chaleur suffocante de ce matin ensoleillé mais humide ; tant qu’il m’en donnera une insolation.

JOUR 40

Nous sommes à ce jour jour fatidique : 40, le nombre qui donne raison à notre état d’être présent. Nous sommes en quarantaine mais demain, nous serons quoi ? En quarante-et-unième ? Ce nombre 40 qui m’a plongé dans les profondeurs de mes souvenirs d’enfance, pour le meilleur et pour le pire, me reconnecte surtout à une part oubliée : l’insurgée en moi. L’un de mes personnages de roman m’y confronte aussi puisqu’elle fait écho à cette partie refoulée de moi-même, mais c’est surtout ce présent confiné.
Un jour, trop impuissante face au monde, certaine que mon action était vaine, je me suis désengagée. J’ai indirectement fui la réalité, toutes les réalités, la mienne, celle de mon pays, celle de notre Terre, en voyageant continuellement. Je suis devenue passagère du monde, vagabonde de l’instant, ne restant pas suffisamment longtemps quelque part pour ressentir la nécessité de bouleverser ce qui ne me convenait pas. Mais aujourd’hui immobile au même endroit, plus que la nécessité, c’est aussi un espoir qui naît. Et parce que j’ai voyagé, mon espoir s’étend au monde entier. Et parce que j’ai voyagé, parce que j’ai encore plus mesuré nos connexions – réelles et invisibles -; je sais que la félicité de chaque pays individuellement passe nécessairement par l’effondrement global. Peut-être que nos sociétés connaissent enfin la fin du monde vital à tout nouveau paradigme, plus juste et plus humain.

Alors, oui, mon âme insurgée s’élève à nouveau, voudrait prendre la parole et écrit à la place.

Justine T.Annezo – 13-26 Avril 2020, Carcassonne – GMT+2

PS : Je ne suis pas la seule à m’insurger, les philosophes parlent aussi et la parole de celui-ci m’a particulièrement touchée.


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