Roman Photo Irlandais – Jour 4

La voyageuse s’empare de sa liberté de mouvement, hausse le ton, refuse de n’entrevoir la vie qu’à travers de courtes échappées. Les voyageuses étaient, et sont toujours, celles qui n’ont pas voulu se limiter à ce qu’elles étaient censées faire ni être.

Les femmes aussi sont du voyage | Lucie Azéma

Belfast n’aura pas parlé, laissée silencieuse au milieu de cette brève irlandaise. Belfast n’aura pas parlé, bien que la Montagne Noire qui la protège lui donne, à chaque fois que je m’en souviens, à chaque fois que je la vois se couvrir de brume, un air de grandeur. Belfast est toujours un passage, un sas, un espace qui veut tout et rien dire ; dont je suis la spectatrice désincarnée. Ainsi, Belfast ne parle pas souvent, coincée entre deux pages biscornues et noircies. Belfast est toujours pourtant une inévitable, une sérendipité, un bouleversement subtil et nécessaire. Ainsi, Belfast me parle indistinctement, d’un langage indicible et inintelligible. Je me plais alors à y faire un détour à rebours pour lui donner le mérite d’exister et pour lui faire honneur, glanant aux confins de ma mémoire, un souvenir choisi pour cette fois-ci.

Un pub (ou plutôt deux !), car c’est toujours l’histoire d’un pub en Irlande. Du Sud et du Nord.

Ici, celle du Crown Liquor Saloon. Ce bar qui, malgré son nom aux consonnances américaines, est, en réalité, un mélange d’Italie et d’époque victorienne. Ce pub, considéré comme patrimoine national, au creux duquel se dissimulent multitudes de snugs, compartiments secrets dans lesquels on peut deviner les secrets du malt doré à l’abri des regards.

Et je ne manque pas de m’y cacher à mon tour. En attendant le bus.

Après avoir arpenté, en vagabonde, les rues aux souvenirs douloureux de West Belfast. Après avoir effleuré, en pensée, le mur de la paix qui troue le cœur de la ville dans ses ruelles pavillonnaires. Après avoir erré, en vain, sur les pavés roses de la ville « civilisée » à la recherche d’un autre pub bien aimé – The Duke of York. Celui qui brille de mille plaques et miroirs accrochés aux murs et aux plafonds. Celui qui brille de rencontres aussi inattendues qu’éphémères. Celui qui brille à nous en éblouir. Bien loin de l’atmosphère calfeutrée, bien qu’autrement brillante, du Crown Liquor Saloon.

Je retrouve donc au Crown Liquor Saloon, ce rendez-vous toujours pris avant de prendre le bus qui me ramène au Sud, la chaleur familière de ses enluminures. Le secret de ses recoins privés. Je découvre alors au Crown Liquor Saloon, ce refuge touristique au détour duquel se retrouvent néanmoins quelques habitués, le fou rire de ma compagne de voyage à qui le houblon monte de façon toute à fait charmante à la tête. Je me délecte aussi au Crown Liquor Saloon, ce souvenir attendu qui fait toujours quelques apparitions heureuses dans mon esprit, de la bière trop forte pour l’après-midi en bus qui m’attend.

Je me complais indéfiniment de ce rendez-vous avec mon pub fétiche à Belfast – l’un de mes nombreux repères irlandais qui furent les témoins de mes pensées silencieuses, de mes interrogations voyageuses sur quelle vagabonde j’étais, sur quelle femme je voulais devenir – que je n’aurais manqué sous aucun prétexte malgré les minutes trop courtes qui m’y arrêtent. Surtout après l’échec du Duke of York !

Reflexions

Justine T.Annezo – 13 avril 2022, Belfast – GMT +1


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