Roman Photo Irlandais – Jour 5

Rêver et voyager, si tant est qu’il s’agisse de deux activités différentes, permet de se reconnecter à des émotions sauvages, à un désir primitif […] nous entraînant au-delà de ce qu’on aurait imaginé. […] Voyager, c’est laisser place à la seule puissance sauvage qui vit dans le repli de nos feuillages intimes.

Les femmes aussi sont du voyage | Lucie Azéma

On aura beau dire, on aura beau faire, les millions de milliers de gouttes de pluie qui pleuvent sur l’Irlande en contiennent toute la magie, tout le mystère. Bien-sûr, un jour de pluie compromettra les nuances de mes photos, point de reflets hypnotiques sur l’océan, uniquement des contrastes qui tranchent et s’harmonisent. La Terre verdoyante. L’Océan noir d’encre. La Roche noire de gris. Le Gris presque blanc. Mais qu’importe la photo, qu’importe la météo, les sensations de l’Irlande seront indescriptibles, imprononçables. La peinture argentique ne rendra jamais la fraîcheur du vent qui me caresse le visage avec violence. Le vertige qui m’étreint lorsque je m’éloigne un peu trop du sentier balisé. La nostalgie qui me serre lorsque j’aperçois sur l’horizon les îles d’Aran tant aimées. J’aime l’Irlande par temps frais, brumeux et même pluvieux, car cette danse des éléments me régénère comme nul autre. Mes pensées vagabondent alors, prêtes à marier mes fantasmes bien ancrés.

Je fais la funambule sur les falaises les plus fameuses d’Irlande. Celles-là même qui seront ma première rencontre de cette expédition-là : elles seront (presque) les seules que je n’avais vraiment regardées jusque là. J’aime les appréhender à rebours, à l’orée de mon énième périple. Après leur avoir préféré des destinations infiniment moins touristiques mais toutes aussi inoubliables. Ces falaises-ci, plus molletonnées que celle du Donegal, ne me font pas le pied de nez d’un jour de brouillard. Brouillard que je chéris plus que tout en Irlande, bien qu’il fut cause d’une charmante déconvenue sur les falaises de Slieve, parce qu’il fut cause d’une improbable rencontre dans les vents de League. Ces falaises-ci, prometteuses d’un printemps en fleurs, s’offre au bruit du vent et au souffle de la mer sous mes pas qui s’ébrouent joyeusement de cette balade. Je ris intérieurement de mon équipement des premières fois : sans parka ni chaussures de marche, avec pour seul paravent des bottes de pluie qui n’étaient plus étanches, que mes promenades étaient douloureuses, que mes pieds ont souffert, de mon manque d’expérience sur les îles d’Aran, qui me font toujours de l’œil, mi-figue mi-raisin, inaccessibles et si vivides dans mon cœur.

Et pour conclure cette promenade venteuse, et pour accompagner les souvenirs naïfs et innocents, les villages du Burren défilent à ma fenêtre sale et ensablée au retour. Comme un goût de première fois. Toujours le même sentiment d’émerveillement m’étreint. Incroyable. Je ne me lasse pas de ces champs verdoyants découpés par de fins murets de pierre, de ces arbres couchés par le vent ; puis de ces champs de pierres noires et blanches à travers l’océan. Toujours une émotion incommensurable me prend au cœur et aux yeux, enfin à la bonne place sur Terre, là où mon cœur bat à l’unisson de ses artères rocheuses, de ses contours biscornus. Le sentiment est le même. Plein de la même magie que mon premier regard. Empli du même mystère que mon imagination l’avait prédit. Et je pense que c’est ce qu’il y a de plus magique et de plus mystérieux en cet instant, comme à chaque fois que je vois les Pyrénées, reflet de mes souvenirs d’enfance et d’adulte confondus, dans mon pare-brise ou sous mon balcon : l’habitude n’existe pas en voyage, même lorsqu’on voyage au même endroit mille et une fois dans une vie. Car la lumière ne sera jamais toute à fait la même. Le vent ne sera jamais aussi frais. La pluie ne sera pas toujours là. Et le regard, changé d’un degré ou de 360 – parce que notre propre vie, notre propre âme, auront elles-mêmes changé d’un degré ou de 360 – ne verra pas tout à fait la même chose, ne fera pas battre le cœur tout à fait de la même manière. Et alors, ce sera comme, même si l’on a voyagée au même endroit mille et une fois dans une vie, on le voyait pour la toute première fois.

Vertige irlandais

Justine T.Annezo – 14 avril 2022, Cliffs of Moher – GMT +1


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