Transcanadienne : La sorcière verte

Je me suis trompée de fuseau horaire hier ! Parce que les Canadiens ont cette complexité de la pensée : ils changent d’heure quand je ne suis pas au courant mais ils restent sur le même fuseau quand on change de province… Ainsi, Yoho et Kootenay, pourtant en Colombie Britannique, restent sur le fuseau des Rocheuses. Je me prends par conséquent au réveil une heure dans les dents. Mais j’ai dormi si longuement dans ma voiture froide et inconfortable que ça n’en a plus vraiment d’importance !
Après une chocolat chaud pour me remettre à la bonne heure, je prends la route cuivrée vers Golden. Prise entre deux chaînes de montagnes, le soleil traverse la vallée finement brumée. Les monts prennent déjà leurs quartiers d’hiver alors que la vallée s’épanouit encore aux couleurs de l’automne. Les ranchs à chevaux ou vaches, mais toujours à pâturages en bois blanc, défilent à mes côtés. Et c’est tout aussi beau que ce qu’on a un jour nommé patrimoine national, même si ce n’est pas aussi extravagant… Parce que c’est soudain la vie qui s’épanouie dans ma fenêtre, une vie simple, rustique et discrète. C’est soudain le quotidien rural de tous les jours qui s’impose. Et j’apprécie pleinement cette traversé non touristique d’un morceau du Canada.

Arrivée à Golden, la route qui s’offre à moi destination Yoho est lourde de flocons. D’épais nuages gris bouchent la vue, rendant le paysage et mon cœur triste. J’affirme tout de même mon pèlerinage d’honneur en m’arrêtant aux Chutes d’eau de Wapta où mon amie Caroline fut demandée en mariage.
Le terrain est gelé et glissant, les montagnes alentour aveugles mais la ballade est agréable, elle est un parfait prémisse à l’immense rivière qui dégringole et se heurte à un barrage de pierres déjà gelées. Le retour se découvre, les sommets apparaissent dans leur lit de nuages, pas encore totalement ensoleillés.

Et le chemin qui s’effile si bref après cette promenade, s’offre timidement au soleil rieur. Le défilement des heures dans les montagnes est particulier, il nous fait perdre les repères du jour. Ainsi, après un court arrêt gris au pont naturel creusé par la rivière, j’arrive au Lac Émeraude à 14h avec la sensation qu’il est 11 heures du matin tant les couleurs du jour n’ont pas changé de chaleur. Lorsque le soleil se réveille soudainement, accompagnant mon tour du lac, il dévoile de nouvelles montagnes d’après-midi, perlant de vert plus clair ce vert foncé de l’émeraude. Inlassable de la marche, je prends de la hauteur entre les arbres enneigés pour aller découvrir un amphithéâtre qui remplacera, ou presque, celui que j’ai manqué à Kluane.

L’amphithéâtre de l’Émeraude

Je repense à cette compréhension mise en lumière plus tôt dans mes pérégrinations mais que je ne me souviens pas d’avoir couché sur la papier : marcher me donne la sensation de posséder un trésor le temps d’un instant. Le contempler n’est pas toujours suffisant, je ne sais rester inactive dans cette contemplation (surtout par ce froid), alors que marcher inlassablement, regardant sous toutes les coutures le paysage qui se dessine au-devant de moi me permet de m’approprier ce que je vois, de le faire mien pour un infime instant. Je peux alors repartir sans regret, chargée de ce nouveau panorama que je peux convoquer à n’importe quel minute. Si je ne marche pas un paysage, il m’échappe, il ne fait pas vraiment partie de mes souvenirs. Conduire me donne cette sensation d’une autre manière. Je regarde de plus loin. Mais marcher… Marcher est un présent fugace et particulier, sans engagement ni perte de liberté. Ainsi, parce que j’ai cette sensation de posséder par la marche, je n’aime pas les foules là où je vais. Je suis partageuse mais un à la fois, s’il vous plaît.

Puis, je rêve à nouveau au rythme de mes pas. Alistair. Brigid. Deirdre. William. Mes enfants du désastre s’invitent et accueillent de nouveaux compagnons. Souvent en partance. Toujours déracinés.
Je rejoins finalement, presque sans m’en rendre compte, les rives du lac que j’ai abandonnées dans les hauteurs de l’amphithéâtre. Hâtive de rentrer et trouver un toit chaud pour la nuit dans le bourg hivernal donc abandonné de Fields. Parfait pour mon corp endolori. Idéal pour me réchauffer. Beau dans le soir couchant de la vallée qui se glace.

La forêt aux sorcières

L’hiver naissant est si puissant qu’il finit par me figer dans mon élan moi aussi… Mon automobile nouvellement acquise se met en grève dans ce milieu de nulle part, compromettant mes aventures. Décidément, quelque chose ne tourne pas rond dans ce voyage… Abordant un langage de sourd avec mon carrosse, je m’interroge au-delà de ma réalité visible. Serait-ce un signe que je ne prends pas suffisamment le temps? Aurais-je eu tort d’acheter une voiture? Où devrais-je être plus vigilante avec les souhaits que je formule à mi-mot ? Car arrivée dans ce mignon petit endroit désert, j’ai pensé que j’y resterais bien un moment.
En tout cas, j’expérimente une fois de plus la réalité, la vraie, d’un pays : perdue au milieu des Rocheuses sans garage à proximité, je dois attendre indéfiniment la remorqueuse. Avec tous les coûts que cette petite histoire représente. C’est vrai que c’est fait pour ça le voyage, découvrir un endroit dans tous ces miroirs. Sauf qu’au présent de ces événements, ils ne me sont rarement profitables et dans tous les sens du terme ! D’abord, parce que ça me creuse sacrément le porte-monnaie à chaque fois. Et puis, parce que je suis alors paralysée, incapable de profiter de mon arrêt obligé pour explorer, dormir ou écrire.
Attendant infiniment la remorqueuse et la facture salée à l’arrivée, je ne rêve plus que d’une seule chose : être seule au monde et vivre une éternité de rythme indolent.

Justine T.Annezo – 31 Oct – 1er Nov. 2019, Parc national de Yoho (BC) – GMT -6 

Mon itinéraire


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