Pastel de ciel

J’espérais que mon réveil à Logan m’offrirait un meilleur regard sur le canyon et les montagnes alentour mais la neige lourde et gracile compromet mon désir.
Je m’enfonce donc un peu plus dans l’Utah, cet Etat aux deux visages… Je rejoins la capitale, Salt Lake City, sous une neige à plus gros flocons encore. Accompagnant ainsi pendant deux jours – même lorsque le soleil s’éclaircit -, ma retraite vers la chaleur de la bibliothèque et les retranscriptions de mes aventures sur ordinateur.
Je passe des heures dans cette bibliothèque qui pourrait être n’importe où, même à Toulouse, sauf que les Pyrénées auraient zoomé sur l’écran de ma fenêtre.
Je ne vois pas grand chose de la ville et cela ne m’importe pas vraiment. J’admire le Capitole s’éclairer dans la nuit en haut de la colline et c’est bien suffisant. Je contemple les montagnes qui enserrent la ville si majestueusement et c’est déjà beaucoup.

Avant de partir cependant, à défaut de pouvoir observer la pleine lune de sang, je marche en plein soleil le long du grand lac salé. Je découvre la route jadis floconneuse de la ville au lac, j’atteins Antelope Island. Je regarde finalement terre à terre, le lac que j’ai admiré du ciel rose et turquoise il y a deux ans. Le paysage a le même pastel que ma mémoire et ne me déçoit pas. Même s’il est gelé par endroit, même s’il est enneigé ailleurs. C’est une telle beauté pure, la simplicité de l’eau tranquille des lacs.
Je suis si heureuse de ma superposition temporelle, même si c’est toujours étrange de faire mes voyages dans le temps. De penser qu’un jour, j’étais au même endroit mais dans les nuages. Est-ce que la dimension de ce passé demeure encore quelque part, ici, superposé à mes pas alors que je foule la terre vue du ciel ? Suis-je en train de recréer mes propres mondes en plusieurs dimensions, de planter des racines entre deux versions de moi même ?
Je suis heureuse de sentir mes muscles se délier au rythme de la randonnée. Cela fait si longtemps que je n’ai pas marché comme ça. Je ne vois pas l’eau rose cependant, seulement le lac turquoisement foncé. Les montagnes alentour, dont la terre est certainement rouge en été, prennent tout de même une teinte rosée de leurs neiges et donnent le change. A vrai dire, la journée toute entière redéfinit ma palette pastelle si propre à la vallée de sel et revêt les couleurs de mon souvenir : le ciel bleu, le soleil flamboyant, les montagnes alentours, les montagnes intérieures. Et même mes joues. Et mêmes mes pensées.

Alors que je déambule le lac salé, je réalise quelque chose de primordial, que mes émotions embrumées m’ont empêchée de comprendre depuis le début de l’année. En effet, ces deux dernières semaines ont été si émotionnellement mouvementées. Nouvelle année. Nouveau début. C’était trop pour moi. Encore une fois quand je désire trop fortement quelque chose, mes émotions ont pris le dessus et j’ai un peu paniqué. Encore une fois, la lune montante ne m’allait pas bien au teint. C’était pernicieux et aveugle cependant, ce n’est qu’aujourd’hui, une fois que le soulagement m’étreint que je réalise combien j’étais perdue dans mes cauchemars.
Mon changement d’espace vers l’Utah est devenu la manifestation pure de mon changement de pensée, ou bien inversement. Mon cercle a légèrement dérivé. L’important étant que je respire mieux. Je comprends véritablement que mon passé n’est plus souffrant, il n’est pas tout à fait détaché de mon présent mais il ne me fait plus mal au cœur. Il n’est plus à guérir. J’ai fait le deuil de ce que j’ai perdu. J’ai transformé mes croyances pour qu’elles deviennent des promesses et non plus des obstacles. Je suis finalement libérée de ce qui m’empêche de m’élancer vers mon rêve, de voir qu’il est à ma portée. J’embrasse absolument mon début, mon prochain chapitre, mon nouveau possible. J’ouvre pleinement mon cœur à cet espoir réalisable.
J’ai déjà écrit tout ça, mais c’est plus manifeste aujourd’hui qu’hier, mais c’est moins profond aujourd’hui que demain…

Et je rayonne d’un bien-être absolu. D’être ici. D’être maintenant.

Et une fois que mes pieds ont fini de dérouler ma pensée, je tente de trouver le partage des eaux qui fait le lac rose et le lac bleu, mais je me perds, je ne suis pas sûre que c’est accessible au commun des mortels par ici. Alors j’observe les couleurs si particulières du soleil qui se couche, de la lune qui se lève, du lac qui surgit soudainement alors que je ne le cherchais plus. Parfois, il est plus intéressant de regarder de l’autre côté du versant. De contempler où les derniers vestiges de lumières rosissent les neiges poudrées puis le ciel opposé.

Je ne me lasse pas d’admirer la lune, si parfaitement dorée quand elle est au plus prêt de la courbe de la terre, alors que l’horizon est toujours rouge de l’autre côté ; attendant de retrouver Molly, l’une des mes rencontres alaskiennes à Seward. Nous passons la soirée autour d’une glace dans un dinner bruyant et Molly si généreuse m’offre le comfort d’un toit chaud pour la nuit. Je constate que nos notions du temps sont si distordues. Les gens ont vécu une vie entière depuis l’été dernier…. Ils ont eu le temps de s’aimer, de se désaimer, de se construire et de se déconstruire pendant que je reste éternelle vagabonde perdue dans mes pensées circulaires.

Justine T.Annezo – 8-10 Janv. 2020, Salt Lake [City] (UT) – GMT -7


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